MongoDB Atlas : une « success story » de la tech au service de l’hégémonie américaine

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🔥 Les essentiels de cette actualité

  • MongoDB affiche une croissance annuelle de 21,9% et un chiffre d’affaires de 549 millions de dollars, dépassant les attentes de Wall Street pour le T1 2025.
  • Le service cloud MongoDB Atlas représente plus de 70% du chiffre d’affaires, mais renforce la dépendance aux infrastructures américaines, posant des défis de souveraineté numérique.
  • L’entreprise mise sur l’IA générative avec l’acquisition de Voyage AI, visant à intégrer des capacités avancées pour attirer les développeurs.
  • Malgré des prévisions prudentes pour 2025, le marché reste confiant avec une croissance annuelle attendue de 11,9%, bien au-dessus de la moyenne du secteur.

L’éditeur américain de bases de données MongoDB, coté au Nasdaq, a surpris les marchés en dévoilant des résultats financiers bien supérieurs aux attentes pour le premier trimestre de son exercice fiscal 2025.

Avec une progression annuelle de 21,9 %, son chiffre d’affaires atteint désormais 549 millions de dollars, dépassant les prévisions de Wall Street. Immédiatement, le titre a bondi de plus de 14 %, confirmant l’appétit des investisseurs pour les acteurs du cloud et de la gestion de données à forte croissance.

Cette performance se double d’un redressement significatif sur le plan opérationnel : la marge de trésorerie disponible grimpe à 19,3 %, contre seulement 4,2 % le trimestre précédent. La perte ajustée par action (-0,46 $) est bien moins lourde qu’anticipée, et le résultat d’exploitation ajusté s’élève à plus de 87 millions de dollars, soit 55 % de plus que prévu.

Autrement dit, MongoDB ne se contente plus de croître rapidement, l’entreprise commence aussi à dégager une rentabilité tangible.

Atlas et l’hégémonie du cloud américain

Au cœur de cette dynamique : MongoDB Atlas, le service cloud de l’entreprise, qui représente désormais plus de 70 % du chiffre d’affaires global. En choisissant de s’ancrer dans les infrastructures de cloud public, essentiellement celles des géants américains AWS, Azure et Google Cloud, MongoDB s’assure une scalabilité globale immédiate.

Mais cette stratégie a une contrepartie lourde : elle consolide l’emprise des GAFAM sur les données du monde entier.

En pratique, la croissance de MongoDB signifie que des dizaines de milliers d’entreprises internationales stockent leurs données critiques sur une architecture conçue, contrôlée et surveillée par des sociétés américaines, dans le cadre légal du Cloud Act.

En cas de conflit géopolitique ou d’activation de sanctions, les États-Unis gardent le pouvoir unilatéral de couper ou de surveiller les accès, faisant des infrastructures logicielles un levier stratégique de domination. La souveraineté numérique des États est donc profondément fragilisée.

Une success story bâtie sur les résidus de Google

Peu de commentateurs le rappellent : MongoDB n’est pas née d’une innovation universitaire ou publique, mais d’un transfert technologique privé. Créée par l’équipe derrière la régie publicitaire DoubleClick, absorbée par Google en 2007, la firme s’inscrit dans cette lignée typique des start-ups américaines issues des big techs.

C’est précisément ce modèle de recyclage entrepreneurial, innovation privée, croissance rapide, levées de fonds massives qui permet aux États-Unis de maintenir une avance technologique structurelle.

Ce n’est donc pas un hasard si MongoDB bénéficie d’une capitalisation boursière de près de 16 milliards de dollars malgré un historique de pertes nettes. Le capital-risque, l’accès à la liquidité de Wall Street et la soumission des utilisateurs mondiaux à un écosystème américain expliquent cette position dominante.

Dans un monde multipolaire, ce schéma interroge profondément la viabilité de toute alternative souveraine.

Google

Intelligence artificielle : un relais de croissance stratégique

Pour se projeter dans l’avenir, MongoDB mise désormais ouvertement sur l’intégration de l’intelligence artificielle générative. La récente acquisition de la start-up Voyage AI marque une étape majeure : l’objectif est clair, injecter des capacités d’IA avancées (embedding, reranking, recherche vectorielle) directement dans sa plateforme pour attirer les développeurs d’applications nouvelle génération.

Mais là encore, cette dynamique s’inscrit dans une logique globale de centralisation : les données, les algorithmes, l’infrastructure et les outils de développement convergent tous vers les États-Unis. Alors que les gouvernements européens peinent encore à imposer un cloud souverain ou à maîtriser les fondations technologiques de l’IA, MongoDB s’apprête à devenir une plateforme incontournable pour tous les services utilisant des données semi-structurées.

Des prévisions prudentes mais un marché confiant

Les prévisions de MongoDB pour l’exercice 2025 sont légèrement en deçà des attentes : la direction table sur un chiffre d’affaires annuel d’environ 2,27 milliards de dollars, pour un bénéfice par action ajusté médian de 3,03 dollars. Ces chiffres, bien qu’en progression, traduisent une certaine prudence de la part du management.

Pourtant, le marché ne semble pas inquiet : la croissance du nombre de clients, passé à 57 100, et l’augmentation des facturations de 23,3 % sur un an renforcent l’idée que MongoDB poursuit sa conquête méthodique.

À moyen terme, les analystes s’attendent à une croissance annuelle de 11,9 %, ce qui reste nettement au-dessus de la moyenne du secteur des logiciels d’entreprise.

Dans un contexte d’automatisation croissante, MongoDB est perçue comme un cheval gagnant, un de ces « gorilles » technologiques évoqués dans les manuels stratégiques de la Silicon Valley. Mais encore une fois, cette trajectoire n’est pas neutre pour l’équilibre mondial des pouvoirs technologiques.

L’illusion de la neutralité technologique

Derrière les graphiques financiers et les multiples de valorisation se cache une réalité plus profonde : la technologie n’est jamais neutre. Les outils dominants de gestion de données, comme MongoDB, imposent des standards implicites, formatent les choix des développeurs, structurent les architectures informatiques des entreprises et conditionnent même les usages des citoyens.

MongoDB, en tant que fournisseur central de services liés aux données, est en position d’influence systémique. Sa logique économique (abonnement SaaS, intégration cloud, modèle propriétaire) est parfaitement alignée avec celle des grandes plateformes américaines.

Les clients sont captifs à long terme, les migrations vers des alternatives libres ou souveraines sont coûteuses, et les décisions techniques sont dictées par des intérêts qui échappent totalement aux États-nations non alignés.

Graphique

Où sont les alternatives nationales et indépendantes ?

Face à cette montée en puissance, on pourrait s’attendre à voir émerger une réponse européenne, russe, chinoise ou même sud-américaine. Mais la réalité est cruelle : les bases de données open source restent marginales, souvent sous-financées, et peu intégrées aux grands écosystèmes de cloud. Postgres, MariaDB ou ClickHouse ne disposent pas de l’effet réseau, ni du soutien stratégique d’un État ou d’un marché intérieur aussi vaste que celui des États-Unis.

Pour que la souveraineté technologique devienne autre chose qu’un slogan creux, il faudrait des investissements massifs, une coordination interétatique et une rupture nette avec les règles du marché libre globalisé. La Chine tente timidement cette voie avec ses clouds nationaux, l’Inde développe des infrastructures publiques numériques, mais l’Occident continental reste dramatiquement à la traîne.

La dérive financiariste du logiciel

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’effet pervers de la financiarisation sur la trajectoire de MongoDB. Comme tant d’autres entreprises américaines du numérique, MongoDB est d’abord une machine à générer de la valeur boursière, avant d’être un fournisseur de solutions. Son modèle économique est centré sur l’expansion du chiffre d’affaires et la croissance des abonnements, quitte à sacrifier l’indépendance des clients ou la pérennité des systèmes.

Cela signifie que toute l’économie numérique mondiale repose, en grande partie, sur des impératifs boursiers américains. Chaque innovation, chaque acquisition, chaque pivot stratégique de MongoDB obéit à la logique du Nasdaq, non à celle des usagers. Dans un tel contexte, croire à une gouvernance démocratique de la technologie relève de la naïveté.

Repenser l’économie numérique dans une optique souverainiste

Face à ce constat, il devient urgent de repenser l’économie numérique sous un prisme souverainiste, où l’État, les entreprises nationales et les citoyens reprennent le contrôle de leurs données, de leurs outils et de leurs choix technologiques. Cela passe par une rupture avec l’idéologie du tout-cloud américain, une relocalisation des infrastructures critiques, et la mise en place de filières logicielles stratégiques au niveau national ou continental.

La réussite financière de MongoDB ne doit pas être vue uniquement comme une prouesse entrepreneuriale, mais comme un signal d’alarme : les nations qui abandonnent la maîtrise de leurs données à des entreprises étrangères renoncent à leur autonomie stratégique. L’indépendance technologique est aujourd’hui aussi fondamentale que l’indépendance énergétique ou alimentaire.

Une entreprise florissante, un modèle à interroger

MongoDB incarne à la perfection le succès américain dans les industries du numérique : innovation rapide, financement massif, domination des standards, expansion mondiale. Mais derrière cette success story se cache une réalité politique : l’assujettissement progressif des pays du monde à une infrastructure logicielle conçue et contrôlée par les États-Unis.

À l’heure où la guerre des données est déclarée, où l’IA redéfinit les rapports de force et où les infrastructures deviennent les armes du XXIe siècle, les États qui ne construiront pas leur autonomie numérique subiront la loi d’autres. MongoDB, en ce sens, n’est pas qu’un éditeur de logiciel. C’est un symptôme d’un monde qui se laisse déposséder de ses propres fondations numériques.

IMPORTANT - À lire

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