À QUAND L’ÉCLATEMENT DE LA PROCHAINE BULLE MONDIALE ?

Crise économique et bulle mondiale

La zone euro sur la sellette

Bridgewater, le plus gros hedge fund (fonds d’investissement — gère 160 Mds $ d’actifs) du monde a misé 22 Mds $ contre la zone euro : les positions à la baisse (« vendeuses  ») du fonds prouvent qu’il parie contre de nombreuses entreprises européennes (Airbus), allemandes (Siemens, Deutsche Bank) françaises (Total, BNP Paribas) et italiennes (Intesa Sanpaolo, Enel et Eni), entre autres. La société n’est pas connue pour s’attaquer à des entreprises en particulier, mais plutôt pour parier sur la santé de l’économie en général.

Depuis 2011, 4 000 Mds € ont été injectés dans la zone euro (c’est-à-dire au sein des banques commerciales) par la Banque Centrale Européenne (BCE), ce qui représente plus d’un tiers du PIB de la zone. La majorité de cette monnaie se situe principalement en Allemagne et au Luxembourg, pays qui, vous en conviendrez, ne sont pas les plus en difficulté de la zone. Plus grave, une grande partie de ces liquiditésn’ont pas financé l’économie réelle par le biais du crédit aux particuliers et aux entreprises. À la place, les banques commerciales ont épargné 2 000 Mds € de cet argent frais sur leur compte à la BCE jusqu’à fin 2017 (contre 300 Mds € début 2011) pour « respecter leur ratio de liquidité » (avoir suffisamment de dépôt en cas de crise de monnaie liquide). Comme aux États-Unis, l’assouplissement quantitatif a permis à la banque centrale de renflouer les banques privées en rachetant leurs créances. Autrement dit, les dettes du secteur privé sont payées par le contribuable sans aucun retour sur investissement. Parallèlement, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a lancé un appel en faveur de moins de régulation et plus de fusions-acquisitions bancaires dans l’UE, en prenant pour modèle le secteur bancaire US…

La BCE prévient aussi que la zone euro risque carrément d’éclater à la prochaine crise si elle n’est pas renforcée. Autrement dit les États membres doivent d’ici là réformer leur économie, dégager des marges budgétaires et intégrer les marchés et les services à l’échelle de la zone pour mieux absorber les pertes potentielles sans faire appel aux contribuables. Un instrument fiscal comme un budget de la zoneeuro contrôlé par un ministre des finances européen, comme le défend le président Emmanuel Macron, aiderait également à faire face à un choc économique majeur qui semble inévitable. Autant dire que cela s’avère problématique au vu du peu de consensus sur le sujet et notamment une frilosité allemande. La Banque centrale européenne a émis l’idée fin 2017, prévue de longue date par les économistes sérieux, d’abolir la limite de 100 000 € garantis en cas d’opération de sauvetage ou de faillite bancaire (Faits & Document n° 443, 15/11/17–15/12/17 p.8 et 9).

La Bundesbank juge également que l’économie allemande est plus fragile qu’il n’y parait, avec des prix immobiliers survalorisés de 15 % à 30 % et des banques parmi les moins rentables du continent avec un rendement des actifs parmi les plus bas et un ratio coût/bénéfice parmi les plus élevés de la zone euro (74,9 %). En lien, le rapport confidentiel gouvernemental allemand Prospective stratégique 2040 a été révélé par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel  : le Ministère fédéral allemand de la Défense a officiellement entériné la possibilité d’un effondrement de l’UE.

Fin 2017, le solde Target 2 de l’Allemagne a dépassé les +900 Mds €, un record depuis la création de l’euro. Ce terme de Target 2 traduit, entre autres, l’état des balances des paiements courants intra-zone euro, et donc dans notre cas, le solde de la balance de l’Allemagne sur les autres pays membres. Si la France est presque à l’équilibre, le solde négatif de l’Italie avoisine les -450 Mds € et celui de l’Espagne les -400 Mds €. La classe politico-financière germanique est très inquiète des capacités du bilan dela Bundesbank à absorber les créances (douteuses) des autres banques centrales des pays du sud de l’Europe.

Le parti politique Union Populaire Républicaine a traduit un article du journal allemand Die Welt (15/03/18) traitant d’une récente conférence à Berlin, réunissant plusieurs économistes allemands célèbres. Le thème de la conférence annonce la couleur : « L’euro peut-il vraiment survivre et, sinon, que va-t-il se passer ? ». C’est la viabilité de la monnaie unique et l’asymétrie des soldes Targets qui y ont été questionnées. M. Fuest, n°1 du prestigieux institut d’études économiques Institut für Wirtschaftsforschung (IFO), y a plaidé pour l’introduction d’une clause de sortie de la monnaie euro. Hans-Werner Sinn, ancien patron de l’IFO a y notamment déclaré : « Je ne sais pas si l’euro va tenir dans la durée, mais son système de fonctionnement est condamné. »

Europe et Union européenne

​Les conséquences inéluctables de l’économie financiarisée

C’est la seconde fois en un siècle que l’indice de Shiller (qui analyse les probabilités de bullesfinancières) dépasse son record : la dernière fois qu’un tel niveau d’euphorie boursière avait été atteint, c’était juste avant le krach de 1929, soit la plus grande crise économique du XXe siècle. Des points communs avec l’avant-crise de 2008 sont également à signaler. La Banque des règlements internationaux (« la banque centrale des banques centrales »), la Banque d’Angleterre et le célèbre gestionnaire de fonds Neil Woodford relèvent des signaux économiques inquiétants dans le monde : surchauffe des marchés financiers, dette des consommateurs et des devises et actifs financiers surévalués. Tandis qu’une énième étude prouve que les inégalités socio-économiques et la concentration des capitaux se sont accrues dans le monde entier ou presque depuis plus de 30 ans, selon un rapport du World Wealth and Income Database (travail collectif de plus d’une centaine de chercheurs).

Suite à la chute récente et vertigineuse du dollar (une baisse comme on n’en avaitpas constaté depuis 2003), les banquiers centraux auront besoin de désigner un responsable pour se dédouaner en cas d’éclatement de bulle, qui serait concevable à court terme. Certains analystes postulent même que la Réserve fédérale des États- Unis a désormais son excuse pour augmenter ses taux d’intérêt rapidement maintenant que le dollar chute, pour que cette bulle explose rapidement sous l’administration Trump. En 2018, le cours du dollar a perdu 4 % de sa valeur par rapport aux six principales devises mondiales et la tendance continue. Le FMI avait d’ailleurs assuré au dernier Forum économique mondiale (ou forum de Davos), que la prochaine crisefrappera plus fort et plus tôt que prévu. De même que l’augmentation importante de la cotation de l’or ne laisse présager rien de bon pour l’économie internationale.

Patrick Artus, économiste directeur de la recherche et des études de Natixis, montre dans une récente étude que les économies développées de l’OCDE sont entrées dans la dynamique finale décrite par Karl Marx. La baisse du rendement du capital s’accroît (les investissements rapportent de moins en moins) et les baisses de salaires pour compenser le phénomène commencent à s’essouffler. Les opérations spéculatives (rachat d’actions, spéculations immobilière et financière, achats d’actifs risqués, bitcoins, etc.) explosent, car la productivité réelle ne suffit plus. Les prochaines étapes se résumeront donc en une hausse des inégalités de revenu et une énorme crise financière, selon Artus et Marx.

Franck Pengam

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