NEW-YORK CONTRE WASHINGTON ET CHINE CONTRE ÉTATS-UNIS : LE DOLLAR N’A PAS DIT SON DERNIER MOT

Dédollarisation et krach financier

La Banque contre l’Économie ?

Les spéculations sur la baisse hégémonique du dollar sont prématurées. La structure financière mondiale reste plutôt rigide à court terme et elle ne changera pas rapidement.

Il a fallu un siècle d’activisme financier des banques américaines et de nombreuses innovations et collaborations interbancaires mondiales pour faire du dollar une monnaie hégémonique mondiale.

Les banques new-yorkaises se sont développées à l’étranger avec l’or comme actif hégémonique pour les règlements, offrant des financements en dollars uniquement pour le commerce. Le dollar n’est devenu une monnaie hégémonique qu’après que les États-Unis aient révoqué la convertibilité du dollar avec l’or (issue des accords Bretton Woods) en 1971. La dollarisation de l’économie mondiale était d’abord motivée par les ambitions mercantiles de New York et non par les ambitions géostratégiques de Washington.

Ce sont les banques de New York qui ont insisté sur la nécessité de création d’une banque centrale (cf. Les secrets de la Réserve fédérale qui s’appuie sur les archives du Congrès américain) et d’une devise mondiale pour les règlements internationaux. La Réserve fédérale (Fed) a été fondée en 1913 dans un contexte d’isolationnisme américain avec 12 banques de réserve régionales et un mandat national strict. La loi McFadden de 1927 interdisait les succursales et les fusions interétatiques des banques américaines, obligeant les banques new-yorkaises à chercher à l’étranger des opportunités d’investissement et d’expansion.

À l’instar de la Fed, la Banque des règlements internationaux (BRI) fut créée à New York (cf. sa charte constitutive) pour faciliter les règlements sur l’or et les réparations de guerre allemandes. Les deux premiers présidents de la BRI étaient des banquiers d’affaires de New York. Le premier dirigeant, Gates White McGarrah, démissionna de son poste de président-banquier de la Réserve fédérale de New York pour occuper sa nouvelle fonction. Il est intéressant de noter que la Fed n’a rejoint la BRI en tant que membre qu’en 1994.

Étonnement, de nombreux éléments de l’ordre hégémonique du dollar contrèrent les politiques américaines, un peu comme aujourd’hui avec le scandale du blanchiment d’argent de JP Morgan et Goldman Sachs établi dans mon article précédent. La hausse des dépôts bancaires en eurodollars offshores (transactions portant sur des dollars américains détenus et utilisés hors des États-Unis) fut stimulée par les sanctions américaines contre la Chine en 1949 et la Russie en 1956. Embargos qui obligeaient ces gouvernements à détenir des comptes en dollars dans des banques, respectivement à Paris et à Londres, pour éviter l’expropriation ou le gel des comptes à New York. De même, le marché des euro-obligations commença à financer des obligations offshores en dollars en Europe en 1963 pour éviter la fiscalité lourde aux États-Unis.

La réglementation joua un rôle important dans la croissance des marchés de capitaux dollarisés. Les banques mondiales se sont concentrées à Londres pour profiter des libéralisations réglementaires à la suite de la déréglementation « big bang » des marchés britanniques en 1986. En 1990, plus de 90% des transactions transfrontalières sur les actions étaient enregistrées à Londres.

En 1988, Bâle I (comité rassemblant les banquiers centraux sous l’égide de la BRI) imposa des exigences minimales de fonds propres pour les banques, cimentant ainsi la demande mondiale de bons du Trésor américain en tant qu’actif de capital contracyclique le plus liquide. L’harmonisation internationale des lois et règlements sur les valeurs mobilières dans les années 90 stimula aussi une expansion plus large des opérations bancaires mondiales.

Wall Street et finance

 

La Chine et l’internationalisation du yuan

Aujourd’hui, les institutions financières et les règlementations chinoises restent encore trop éloignées des normes occidentales pour que le renminbi (ou yuan, c’est la même chose) puisse défier l’hégémonie du dollar. Le renminbi n’est pas flottant ou facilement convertible en d’autres devises. Les marchés chinois sont en train de s’ouvrir aux gestionnaires d’actifs et aux banques étrangères, mais ces derniers ne peuvent pas être certains qu’ils seront traités équitablement par les régulateurs ou les tribunaux chinois. Les marchés des dérivés restent également sous-développés et illiquides sur place par rapport à leurs alter ego occidentaux.

L’inclusion du renminbi dans le panier des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international à partir de 2015 était censée annoncer une croissance rapide des réserves officielles de la devise chinoise. À la fin du mois d’avril de cette année, les réserves officielles en renminbi n’étaient que de 221 Mds $ par rapport aux réserves totales de 11 732 Mds $, soit moins de 2%.

Beaucoup de pays occidentaux craignaient que l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie ne conduise à un financement du renminbi plus large et plus profond. Au final, les pays recevant des prêts de la Chine dans le cadre des Nouvelles routes de la soie en renminbi ont immédiatement échangé leurs fonds contre des dollars. Les banques chinoises financent désormais les prêts en dollars pour développer le projet, car c’est tout simplement ce que veulent leurs clients.

La part des règlements mondiaux en renminbi via le système de paiement Swift a brièvement dépassé 2% en 2018, mais est retombée à 1,4%. Les données chiffrées montrent tout simplement qu’il n’y a pas de vague de fond de flambée du renminbi par rapport au dollar. Le dollar reste la monnaie principale des règlements dans la région Asie (hors Japon) à hauteur d’environ 80% (2000-2012).

Certains pensent que la monnaie numérique de la Banque populaire de Chine pourrait changer la donne. Elle pourrait compléter la structure financière existante certes, mais il est peu probable qu’elle remplace les systèmes de base soutenant l’hégémonie du dollar. Ce n’est finalement qu’une pièce d’un grand édifice qu’il reste encore à construire. Un renminbi numérique remet par contre en question le duopole des services de paiements chinois que sont Alipay (Ant Financial, filiale du géant Alibaba dirigé par un ancien de Goldman Sachs) et WeChatPay (Tencent). Alipay accepte déjà 18 devises mondiales, avec le renminbi principalement utilisé par les commerçants non chinois vendant en Chine. De nouvelles initiatives chinoises ciblent dorénavant les chaînes d’approvisionnement mondiales, la logistique et le transport maritime, reflétant le mercantilisme des premières succursales des banques new-yorkaises à l’étranger.

La dédollarisation pourrait s’accroitre en cas de deuxième mandat de Donald Trump

Si Trump gagne les élections et continue ses attaques contre le mondialisme, notamment dans son aspect financier, les États-Unis pourraient fournir la justification qui diviserait l’hégémonie bancaire internationale. « L’Amérique d’abord » en matière de finance, de commerce, de sécurité et de technologie n’est pas favorable à la concentration internationale des pouvoirs et pourrait diviser les anciens marchés du dollar et leur intégration aux nouveaux marchés numériques du renminbi/yuan. Si un tel scénario devient structurant sur le long terme, le renminbi numérique pourrait commencer à atteindre une masse critique et entamer un processus d’hégémonie monétaire mondiale.

Mais comme je l’ai dit dans un article précédent avec le cas russe, ceci est un long processus avec ses soubresauts qui peuvent durer une vie d’homme.

Notons que les sanctions américaines, utilisées récemment pour cibler les rivaux commerciaux chinois des géants américains de la technologie, rentrent dans le cadre d’une opposition géostratégique contre l’émergence de puissances eurasiatiques (Chine/Russie). L’empire atlantiste finira également par viser les alliés ouest européens qui payent déjà chers leur servilité stratégique des 70 dernières années vis-à-vis des États-Unis.

D’où la panique dans les instances communautaires du Vieux continent.

Trump a réussi un tour de force en poussant une logique de sécurité nationale à la limite de la crédibilité et aux yeux de tous : c’est toute la légende du libre-échange « sain », « pacificateur » et « non faussé » qui s’envole. Après tant d’effort, l’oligarchie financière ne peut rien faire d’autre que d’user de tout son pouvoir financier et médiatique pour vilipender toute volonté de retour à la nation conservatrice contre le mondialisme cosmopolite.

Ce n’est pas qu’une guerre économique et financière, c’est une guerre idéologique, voire religieuse, pour une domination mondiale centralisée. Il y a un siècle, la livre sterling perdait son hégémonie dans l’ordre monétaire mondial à cause de la perte de son empire, de ses dettes, de l’inflation et de troubles civils dans le pays. Le dollar pourrait également perdre son attrait si de telles tendances se renforçaient aux États-Unis.

Mais après la City et Wall Street, où se situerait le prochain eldorado de la finance mondiale ? Hong Kong, récemment déstabilisée et reprise en main par le Parti Communiste Chinois, est-elle mature pour ce rôle ?

La plupart des créances en espèces et des actifs libellés en dollars appartiennent à des non-Américains, car le dollar est une monnaie mondiale. L’influence de la Chine dans le monde peut donc croître avec les dollars utilisés pour les règlements, tout comme l’influence de l’Amérique avait augmenté avec l’or pour les règlements jusqu’en 1971.

Le dollar ne perdra son statut hégémonique que si les politiques chinoises utilisent et imposent le renminbi pour les banques et les investisseurs étrangers. La politique de puissance et de sanction de l’Amérique de Trump peut conforter cette tendance… qui était déjà amorcée avant lui.

Franck Pengam  

Revue Or & Argent
Facebook
Twitter
Telegram

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *