Le 20 novembre à 12h30, Aram Mardirossian est l’invité de Nicolas Stoquer, en direct sur la chaîne YouTube de Géopolitique Profonde !
Aram Mardirossian, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est un historien et juriste franco-arménien. Il est reconnu pour ses travaux sur le génocide arménien et la protection des chrétiens d’Orient. En tant que défenseur des droits de l’homme, il critique la négligence de l’État laïque français envers la christianophobie croissante. Son engagement s’étend à la défense du patrimoine religieux et des croyances chrétiennes, notamment face aux crimes haineux et aux profanations.
Au-delà des mythes, l’impact juridique de l’Inquisition
Au XIIIe siècle, Frédéric II, empereur du Saint-Empire romain germanique, joue un rôle déterminant dans la structuration de l’Inquisition. En 1231, il met en place des lois destinées à lutter contre les hérésies, notamment celles des Cathares, qui menacent l’unité religieuse et politique de son empire. L’objectif n’est pas seulement spirituel, mais également stratégique : maintenir l’ordre face aux divisions croissantes qui fragilisent la cohésion sociale et politique.
Loin d’être un simple outil de répression arbitraire, l’Inquisition adopte des procédures inquisitoriales novatrices pour l’époque. Contrairement à l’idée reçue d’une violence généralisée, l’Inquisition cherchait à établir la vérité avec une rigueur méthodique, bien qu’au service de l’ordre religieux. Elle a modernisé le droit pénal en introduisant des éléments de procédure encore utilisés aujourd’hui, comme l’importance de la preuve matérielle.
Cette institution n’était pas qu’un simple bras armé de l’Église ; elle fut un instrument de contrôle social visant à limiter les débordements religieux et à préserver l’unité de la société chrétienne. En cela, l’Inquisition s’impose comme un acteur majeur des évolutions juridiques et politiques de son époque.
Loin des clichés, l’Inquisition espagnole moins violente qu’on le croit
L’idée d’une Inquisition régnant par la terreur est un mythe historique. Les chiffres et les faits le prouvent : la grande vague de répression associée aux procès pour sorcellerie et aux exécutions massives se déroule principalement aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, et non au Moyen Âge. De plus, cette répression atteint son apogée dans les pays protestants, où les tensions confessionnelles exacerbent les persécutions. Dans les territoires catholiques, l’Inquisition adopte une approche plus méthodique et, souvent, moins violente.
Les chiffres montrent une réalité différente de celle des récits dramatisés. L’Inquisition espagnole, souvent critiquée, a prononcé environ 3 000 condamnations à mort sur plusieurs siècles. À titre de comparaison, la Révolution française a entraîné près de 17 000 exécutions en seulement deux ans. Ces données révèlent que la violence inquisitoriale, bien que réelle, était largement moins importante que celle d’autres régimes ou institutions.
Les procès pour sorcellerie, souvent caricaturés, reflètent avant tout les peurs sociales d’une époque. Contrairement aux discours modernes qui les décrivent comme un outil de domination patriarcale, ces procès visaient indistinctement hommes et femmes, selon leur position dans des communautés en crise. Les femmes n’étaient pas les seules victimes : il s’agissait de punir ce qui était perçu comme une menace à l’ordre établi. Les lectures idéologiques contemporaines, telles celles portées par Sandrine Rousseau, déforment une réalité bien plus complexe.
L’Inquisition, une justice méthodique face aux tribunaux civils
L’Inquisition, loin d’être une pure machine de répression, se distingue par sa rigueur méthodologique. Contrairement aux tribunaux civils, où les tortures et les exécutions étaient fréquentes et souvent arbitraires, elle imposait des règles strictes dans l’application des peines. Les condamnations à mort, bien qu’existantes, restaient minoritaires, et beaucoup d’accusés étaient condamnés à des pénitences spirituelles ou des peines légères.
À la fin de l’Ancien Régime, l’Inquisition avait presque disparu, tandis que la Révolution française plongeait le pays dans une violence sans précédent. Jean-Louis Harouel souligne avec justesse que l’Inquisition ne fut pas un instrument de fanatisme aveugle, mais une tentative de maîtriser les excès dans une société profondément fracturée. Ses innovations dans le domaine du droit pénal, comme l’insistance sur les preuves écrites et les enquêtes rigoureuses, marquent un tournant dans l’histoire de la justice européenne.
L’Inquisition n’est pas qu’une institution à condamner. Elle incarne les contradictions d’une époque où foi et politique étaient indissociables. Son héritage, bien que controversé, reste celui d’une institution qui cherchait à imposer un certain équilibre face aux tensions religieuses et sociales.