Népal : quand l’interdiction des réseaux sociaux transforme Discord en Parlement

une tentative d'interdiction des réseaux sociaux s'est soldée cette semaine par de violentes manifestations une tentative d'interdiction des réseaux sociaux s'est soldée cette semaine par de violentes manifestations

🔥 Les essentiels de cette actualité

  • Le Népal plongé dans le chaos : l’armée prend le pouvoir, le Parlement brûlé. Les citoyens se tournent vers Discord pour choisir leur prochain dirigeant.
  • Manifestations violentes à Katmandou : au moins 30 jeunes tués dans les affrontements avec les forces de l’ordre.
  • Sur Discord, plus de 145 000 Népalais organisent un Parlement virtuel, négociant presque directement avec l’armée.
  • Sushila Karki, ancienne juge, choisie pour représenter le groupe dans les négociations avec les militaires et le président.

Le Népal a vécu un coup de théâtre aux allures de révolution cette semaine : tentative d’interdire les réseaux sociaux, manifestations violentes, Premier ministre évincé, Parlement réduit en cendres.

Désormais, l’ironie est totale : ces plateformes que le gouvernement voulait museler servent aujourd’hui de forum citoyen pour choisir le prochain dirigeant. Plus de 145 000 Népalais se sont réunis en seulement quatre jours sur un serveur Discord, prenant en main leur destin national sans attendre les directives d’en-haut.

Cette situation rappelle combien les élites politiques craignent la libre circulation des idées. Mais comme toujours, la soif de liberté finit par l’emporter contre les tentatives d’autoritarisme.

Le sang des jeunes dans les rues de Katmandou

Bain de sang dans la capitale : les jeunes se soulèvent contre le pouvoir et paient le prix fort. La répression n’a pas attendu. Au moins 30 personnes ont perdu la vie cette semaine lors des heurts avec les forces de l’ordre.

Ces jeunes, exaspérés par l’écart entre les nantis et le peuple, par la corruption endémique et par un projet visant à museler certains réseaux sociaux, dernier espace de liberté d’expression, sont descendus dans les rues pour exprimer leur ras-le-bol.

La capitale a été le théâtre d’affrontements violents. Des scènes qui font froid dans le dos mais n’étonnent plus grand monde. Quand l’État veut faire taire, il ne recule devant rien, même pas devant le sang de sa jeunesse

L’armée au pouvoir et la démocratie numérique

Le gouvernement népalais s’est effondré mardi, laissant la place à l’armée qui a imposé un couvre-feu à Katmandou et interdit les rassemblements publics, histoire de bien faire comprendre qui commande.

Ainsi, les soldats patrouillent dans Katmandou. Un calme précaire s’est installé, mais les citoyens disposent désormais d’un outil de contre-pouvoir que personne ne pourra leur enlever.

Face à ce vide politique, les Népalais ont investi Discord, réseau social d’abord créé pour les gamers, et l’ont détourné pour mettre en place une sorte de parlement virtuel.

Ce serveur, devenu central dans le dialogue national, négocie presque directement avec l’armée, car, comme l’explique Shaswot Lamichhane, modérateur du canal :

« On pourrait dire que le serveur Discord négocie avec l’armée, car tout ce qui se dit finit par parvenir au quartier général de l’armée » et « nous sommes sur le terrain ».

Les citoyens ordinaires organisent leur résistance numérique, loin des regards de l’armée. Cette capacité à s’auto-organiser quand les élites échouent est frappante. Comme toujours, c’est le peuple qui trouve des solutions quand les dirigeants sont défaillants.

le serveur Discord négocie avec l'armée

Discord : Le nouveau parlement Népalais

Sid Ghimiri, 23 ans, un créateur de contenu de Katmandou, a décrit comment le site, normalement utilisé par les gamers, est devenu le QG des décisions politiques dans le pays :

« Le Parlement du Népal est actuellement Discord ».

Le canal Discord cristallise un phénomène rare : ces échanges, mêlant conversations écrites, vocales et vidéo, ont pris une ampleur telle qu’ils sont discutés dans les journaux télévisés et diffusés en direct sur les sites d’information. Des conversations qui étaient censées rester sur le web se retrouvent disséquées par les présentateurs du 20h.

Mais cette démocratie numérique a ses limites. Avec un accès ouvert à tous, le canal est vulnérable aux trolls et aux intervenants extérieurs au Népal. Les modérateurs doivent constamment juguler les appels à la violence et gérer des discussions souvent chaotiques, comme le note Samdip Yadav, 23 ans, jeune diplômé de Katmandou :

« Tout s’est passé si vite », « Nous n’avons pas de leaders bien définis pour nous représenter », ajoutant que les échanges sont parfois « très désorganisés » et rappellent un « appel aléatoire sur les réseaux sociaux ».

Les jeunes activistes face à l’Armée

Chez Hami Nepal, un mouvement civique, les organisateurs de la chaîne de discussion se retrouvent dans une position inattendue. Ces jeunes activistes de la génération Z, à l’origine des manifestations, doivent composer avec l’armée népalaise.

Le Premier ministre a démissionné mardi sous la pression populaire. Mais l’armée tire désormais les ficelles et convoque les jeunes organisateurs pour proposer un candidat temporaire à la direction du pays.

Les modérateurs, pressés par le temps, ont dû trancher rapidement, comme ils l’ont exprimé :

« Veuillez choisir un représentant dès maintenant – NOUS N’AVONS PAS LE TEMPS. »

L’avenir politique du Népal se dessine dans ces discussions entre idéalistes et militaires, ces derniers profitant du chaos pour s’imposer comme les « sauveurs » d’une nation en crise.

D’autres groupes, comme des partis politiques et des partisans de l’ancienne monarchie, cherchent également à influencer l’armée, rendant la compétition pour le pouvoir encore plus complexe.

L’avenir politique du Népal

Les candidats pour le pouvoir

La chaîne a mentionné Sagar Dhakal, ancien candidat politique, et Kul Man Ghising, ex-directeur de l’autorité népalaise de l’électricité. Ces deux hommes ont participé à une réunion d’une heure sur le forum mercredi, selon trois personnes informées de l’appel.

Après de longues discussions et plusieurs sondages, le groupe Discord a tranché et s’est rassemblé autour de Sushila Karki, ancienne juge en chef du Népal, pour mener les pourparlers en face-à-face avec les militaires, dans un contexte politique tendu.

Ce choix intervient alors que le Népal traverse une période d’instabilité majeure. Karki, connue pour son intégrité, devra porter la voix du groupe dans ces négociations délicates.

Le groupe précise toutefois qu’il ne représente pas l’ensemble du pays et vise seulement à proposer un dirigeant intérimaire pour superviser les élections.

Sushila Karki (née le 7 juin 1952 au Népal) est une juriste, auteure et femme politique népalaise, qui occupe actuellement le poste de Première ministre par intérim.

Les rencontres au sommet

Jeudi, Karki s’est entretenue avec le président Ram Chandra Poudel et le général Ashok Raj Sigdel, chef de l’armée. Son avocat n’a pas répondu aux sollicitations.

« L’objectif était de simuler une sorte de mini-élection », explique Shaswot Lamichhane, l’un des modérateurs du serveur et représentant du groupe pendant les réunions avec l’armée.

Petit détail : Lamichhane vient tout juste de terminer son lycée il y a quelques mois.

Cette jeunesse, à peine sortie de l’adolescence, se retrouve à négocier l’avenir d’un pays en crise, un phénomène que Steven Feldstein, expert au Carnegie Endowment for International Peace, qualifie d’« assez sans précédent ».

IMPORTANT - À lire

Le Népal bascule dans le chaos, une jeunesse idéaliste tente de reprendre le contrôle via Discord. Un phénomène inédit qui soulève de nombreuses questions sur le rôle des réseaux sociaux dans les crises politiques. Chaque mois, notre revue papier approfondit ce type d'analyses géopolitiques.

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