Une guerre totale pour l’énergie
Presque vingt ans jour pour jour après que l’ambassadeur Joseph Wilson a écrit son article « What I Didn’t Find in Africa » (« Ce que je n’ai pas trouvé en Afrique ») sur sa visite au Niger pour vérifier si le pays fournissait du yellowcake d’uranium à Saddam Hussein, les États-Unis ont à nouveau tourné leur attention vers ce pays africain.
Le 26 juillet, le président du Niger, Mohamed Bazoum, a été renversé par sa garde présidentielle, et le commandant de la garde et chef du coup d’État, le général Abdourahmane Tchiani, a été nommé président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie.
Il s’agit du septième coup d’État dans la région depuis 2020, sans compter une précédente tentative au Niger en 2021 qui a été réprimée par la même garde présidentielle.
Le coup d’État a été condamné par les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, les Nations unies, l’Union européenne, l’Union africaine, de nombreux gouvernements africains et la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Les généraux n’ont pas respecté le délai fixé par la CEDEAO pour rétablir le président Bazoum, et les nouveaux dirigeants du Niger ont fermé l’espace aérien du pays et accusé des puissances étrangères de se préparer à une attaque. Les dirigeants de la CEDEAO se sont réunis ce jeudi 10 août au Nigeria pour discuter des prochaines étapes.
La semaine dernière, les chefs militaires de la CEDEAO ont préparé un plan pour rétablir le président Bazoum, qui a été probablement discuté lors de la réunion du 10 août.
Cependant, le Sénat nigérian a rejeté l’intervention militaire au Niger et sans le Nigeria, qui a une frontière de 1 600 kilomètres et l’armée la plus importante de la région, rien ne se passera.
La semaine dernière, le chef adjoint du gouvernement militaire a visité le Mali pour demander le « déploiement rapide des forces Wagner au [Niger] » afin d’aider le régime militaire.
Et le chef de Wagner, Evgueni Prigozhin, a déclaré que ses troupes seraient en mesure d’aider le Niger : ce qu’un chercheur a qualifié de « scénario cauchemardesque » pour les États-Unis dans la région du Sahel en Afrique.
Le gouvernement militaire de Niamey a reçu des promesses de soutien de ses voisins du Burkina Faso, du Mali et de Guinée. L’Algérie a condamné le coup d’État, et la Libye a déclaré que la prise de pouvoir n’était « pas acceptable ».
Cependant, la semaine dernière, le chef d’état-major de l’armée algérienne a visité Moscou pour une réunion avec le ministre russe de la Défense Sergey Shoigu et la question du Niger a sûrement été discutée.
Selon la BBC, Wagner Group est apparu en Libye en 2019, soutenant le général Khalifa Haftar, un atout américain de longue date.
La Libye, quoi qu’elle ait dit la semaine dernière, s’attachera avant tout à éviter une nouvelle vague de réfugiés qui avait suivi l’attaque de l’OTAN en 2011 contre le gouvernement de Kadhafi.
Si Wagner peut relancer son réseau en Libye, la Russie pourrait disposer d’une route terrestre et d’un couloir aérien sûr vers le Niger.
Si l’Algérie et la Libye autorisent le transbordement de matériel vers le Niger – éventuellement pour rétablir l’ordre et empêcher un nouvel exode de réfugiés vers l’Europe – le gouvernement putschiste bénéficierait d’une aide importante et d’un accès aux voies maritimes.
Les médias se sont concentrés sur le fait que le Niger est un fournisseur d’uranium, et un fournisseur clé de la France, bien que la France achète également de l’uranium au Kazakhstan. La société française Orano, qui exploite une mine d’uranium au Niger, a déclaré que ses activités n’avaient pas été entravées ou mises en danger.
Bien que l’uranium fasse l’objet d’une plus grande couverture médiatique, l’or, qui représentait plus de 70% des exportations en 2021, est le principal produit d’exportation du Niger et le plus grand produit d’exportation.
Le gouvernement militaire aurait interrompu les exportations d’uranium et d’or vers la France. Reuters déclare que le Niger, le Mali et le Burkina Faso n’ont pas interrompu les exportations d’uranium et d’or.
Une chose qui a été interrompue, cependant, est le projet de 13 milliards de dollars US, 5 600 kilomètres Trans-Saharan Gas Pipeline – (TSGP) qui devait livrer 30 milliards de mètres cubes de gaz naturel à l’Europe. Le gazoduc partirait de Warri, au Nigeria, via le Niger, jusqu’au centre gazier Hassan R’Mel en Algérie, où il se raccorderait aux gazoducs existants à destination de l’Europe.
Le gazoduc est une initiative conjointe de l’Algérie, du Nigeria et du Niger. En juillet 2022, les pays ont signé un protocole d’accord pour la mise en œuvre du gazoduc. Le retard du projet arrive à un mauvais moment pour l’Europe, qui a récemment perdu le gaz des gazoducs Nord Stream en raison d’un sabotage, et le gazoduc East Med après que le gouvernement américain a mis fin au projet en soulevant des objections environnementales. Ces deux gazoducs devaient fournir 120 milliards de m3 de gaz par an.
Après la perte de Nord Stream, l’Europe a été contrainte d’importer du gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis à un prix plus élevé que celui qu’elle payait aux Russes.
La présence des troupes Wagner au Niger est suffisante pour arrêter le gazoduc, à moins que quelqu’un n’intervienne, un pays comme la Chine par exemple, qui est généralement peu enclin à prendre des risques, mais qui a une longue histoire en Afrique, et qui pourrait être intéressée par l’acquisition de 30 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires chaque année.
Les trois gouvernements fondateurs n’ont pas exclu d’autres partenaires, mais un ancien ministre algérien de l’Énergie a déclaré :
« Seuls les partenaires qui peuvent apporter quelque chose au projet, et pas seulement de l’argent, devraient être présents. »
Bien sûr, il pourrait être plus facile pour la Chine d’ajouter simplement de la capacité au Nigeria, où elle est un grand investisseur, mais le Nigeria est également instable en raison d’une insurrection permanente dans le delta du Niger.
La Russie, quant à elle, pourrait obtenir un vote, ou une part de l’action, car le gouvernement militaire du Niger s’est aligné sur Moscou en demandant l’intervention de la PMC Wagner, et Moscou voudra capitaliser sur la bonne volonté du Sommet Russie-Afrique de juillet, qui s’est terminé sans relance de livraisons de céréales (pour l’instant). Rappelons que la Russie a annulé 23 milliards de dollars de dette.
D’autre part, l’envoi du gaz vers le nord permettra à Pékin d’approfondir ses relations avec le Maroc, l’Algérie et la Libye, cette dernière ayant accepté de coordonner ses plans de développement nationaux avec l’initiative Belt and Road de Pékin via le Five Year Plan for China Arab Comprehensive Strategic Cooperation (2022-2026) en reconnaissance de l’implication économique de la Chine à long terme en Libye.
La Chine développe actuellement le port central d’El Hamdania, le plus grand et le premier port en eau profonde d’Algérie. La Chine a également contribué à l’achèvement de l’autoroute est-ouest de 750 miles reliant l’Algérie au Maroc et à la Tunisie.
Environ 1 000 entreprises chinoises opèrent en Algérie, leur chemin ayant été facilité par l’abandon de l’exigence « 51/49 » qui exigeait une participation algérienne majoritaire dans toutes les nouvelles entreprises, à l’exception des « secteurs stratégiques ».
Selon le U.S. Congressional Research Service :
« L’Algérie possède les 11ème et 16ème réserves prouvées de gaz naturel et de pétrole, respectivement, et était le 10ème producteur de gaz naturel en 2019. On estime également qu’elle possède les 3e plus grandes réserves récupérables de gaz de schiste au monde. »
« Le pays exporte 85% de son gaz vers l’Europe. »
L’Algérie est la quatrième économie d’Afrique avec un PIB en 2021 de 167,98 milliards de dollars. Les revenus pétroliers et gaziers ont augmenté de 70 % au cours du premier semestre 2022, et les revenus énergétiques devraient totaliser 50 milliards de dollars d’ici la fin de l’année.
La Banque mondiale a indiqué que l’économie algérienne :
« Avait progressé de 3,9 % en glissement annuel au cours des neuf premiers mois de 2021, après s’être contractée de 5,5 % en 2020″, en grande partie grâce à l’augmentation de la demande de gaz en Europe. Les hydrocarbures représentent 95 % des recettes d’exportation et environ 40 % des revenus du gouvernement. »
Si la Chine ne prend pas le gaz mais accepte de le livrer à l’Europe, elle y renforcera son influence, tout comme les États-Unis l’ont fait en augmentant leurs livraisons de GNL après avoir arrêté les gazoducs Nord Stream et EastMed.
L’Union européenne cherche à établir un « partenariat stratégique à long terme » pour le gaz naturel et l’électricité avec l’Algérie. La France cherche à rétablir les relations par le biais de la coopération économique, bien que la Chine soit aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Algérie.
Si l’Europe attend plus d’énergie de l’Algérie ou d’autres pays d’Afrique, elle devra peut-être payer pour financer l’expansion de la production ou participer au TSGP, ce à quoi Washington pourrait s’opposer si cela devait nuire aux ventes lucratives de gaz naturel liquéfié des États-Unis à l’Europe ou soulager le Niger.
Et la France pourrait se trouver à l’étroit, si elle devait finalement partager avec la Chine.
Idéalement, les États-Unis devraient s’intéresser à tout ce qui permet d’augmenter la production de pétrole et de gaz afin de stabiliser le marché. Mais ils doivent également se demander si leur implication au Niger contribuerait à soutenir l’empire colonial français en difficulté en Afrique ou à donner à la Chine plus d’opportunités en Afrique, une région qu’elle a toujours ignorée et qu’elle continuera d’ignorer dès que la question du Niger aura été réglée ou, tout au moins, dès qu’elle aura disparu de la une des journaux.
Source : ZeroHedge
