Mise en contexte
L’Asie centrale est la seule région du monde où un président américain n’a jamais mis les pieds. Il est peu probable que Joe Biden change cela, mais sa rencontre avec les dirigeants des républiques d’Asie centrale en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations Unies est un événement véritablement historique.
Cette rencontre symbolise une volonté de renforcer les liens diplomatiques et d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre les États-Unis et l’Asie centrale.
Le format de rencontre Asie Centrale 5+1 (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan + les États-Unis) a été lancé en 2015 sous la présidence d’Obama. Il ne s’était réuni auparavant qu’au niveau ministériel, le plus récemment à Astana en février de cette année.
La rencontre des cinq chefs d’État d’Asie centrale avec le président américain à New York démontre l’intérêt de Washington à propos de la région. Cela marque également une étape significative dans l’évolution de la politique étrangère américaine. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large visant à contrecarrer l’influence croissante de la Russie et de la Chine dans la région.
Politique américaine en Asie Centrale : un retour historique
Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont été l’élément déclencheur que les États-Unis ont utilisé comme prétexte pour mettre en place leur politique dans la région. Avant cela, l’Asie centrale était principalement perçue comme un moyen d’obtenir des approvisionnements énergétiques en provenance de la mer Caspienne.
Cependant, des évaluations de l’Asie centrale comme une zone de sécurité grise et un vide géopolitique étaient également apparues dans la communauté d’experts de Washington dès les années 1990. Ce changement de perception a conduit à une réévaluation des priorités et des stratégies américaines dans la région.
L’adhésion de certains États de la région à l’OTSC (Organisation du Traité de sécurité collective) et à l’OSC (Organisation de coopération de Shanghai) était considérée comme insuffisante pour assurer la sécurité de cette partie de l’Eurasie. Tout cela, bien sûr, a pris une nouvelle tournure dès lors que les États-Unis ont lancé leur guerre contre le terrorisme mondial, d’abord en Afghanistan, puis en Irak.
Cette guerre a mis en lumière l’importance stratégique de l’Asie centrale comme un allié potentiel dans la lutte contre le terrorisme. Une belle débandade lorsque l’on regarde cette action dans le temps et ses conséquences…
L’administration Bush a commencé des consultations avec le Kremlin et des négociations avec les dirigeants de l’Ouzbékistan et du Kirghizistan pour l’installation de deux bases militaires aériennes, celle de Karshi-Khanabad et celle de Manas.
Ces négociations ont marqué une étape cruciale dans l’engagement militaire américain en Asie centrale, soulignant l’importance de la région dans les objectifs géopolitiques des États-Unis.
Présence militaire américaine : une histoire en dents de scie
L’histoire de la présence militaire américaine en Ouzbékistan a été de courte durée. Le président ouzbek de l’époque, Islam Karimov, a justement décidé que les États-Unis avaient joué un rôle dans les manifestations qui ont secoué le pays en mai 2005 et a ordonné l’annulation de l’accord sur la location de la base aérienne.
En novembre de la même année, le dernier avion militaire américain a quitté Karshi. Les tensions sous-jacentes et les limites de la coopération militaire entre les deux nations apparaissaient au grand jour.
La présence américaine au Kirghizistan a duré beaucoup plus longtemps. Au début des années 2000, le Kremlin pensait que la Russie et les États-Unis combattraient ensemble le terrorisme, alors le président Poutine a donné sa bénédiction au déploiement de l’armée américaine sur la base de Manas.
Pendant près de 14 ans, elle a servi de plus grand centre de transport militaire pour les États-Unis et leurs alliés dans la campagne afghane. Pendant ce temps, environ 5,3 millions de troupes occidentales et des dizaines de milliers de cargaisons militaires et civiles y ont transité. La base de Manas est devenue un élément clé de la stratégie militaire américaine en Asie centrale.
Évolution de la stratégie américaine : de Kerry à Pompeo
Pour montrer aux élites locales que les États-Unis sont toujours intéressés par la région, l’ancien secrétaire d’État américain, John Kerry, a effectué une tournée en Asie centrale en 2015. Cette visite a servi à renouveler les engagements et à rassurer les partenaires régionaux sur l’intérêt continu des États-Unis.
Cinq ans plus tard, Mike Pompeo a ouvert une nouvelle page dans l’histoire. Le voyage du secrétaire d’État de Trump avait une orientation nettement anti-chinoise, reflétant le changement de ton dans la politique américaine.
Cependant, tant l’agenda avec lequel Pompeo est arrivé que la pression avec laquelle il l’a promu n’étaient pas du goût des chefs de la politique étrangère locale. Néanmoins, la visite elle-même et la stratégie de l’administration Trump pour l’Asie centrale de 2015 à 2019 ont envoyé un message clair : la région est une clé pour Washington, à la lumière de la grande confrontation avec la Chine et la Russie.
Ce message a été reçu avec des sentiments mitigés, toujours en soulignant l’importance stratégique que les États-Unis accordent à l’Asie centrale.
Un pas en avant pour la diplomatie américaine
La rencontre de Biden avec les dirigeants des républiques d’Asie centrale à New York a montré que les États-Unis continuent leur engagement dans la région. Cela a également mis en évidence l’importance que Washington accorde à la réduction du pouvoir d’équilibrage des républiques d’Asie centrale, en particulier en ce qui concerne la Russie et la Chine, les deux bêtes noires de l’Oncle Sam.
En effet, au cœur des dialogues, la connectivité économique et la sécurité énergétique se dessinent comme des leviers clés. Avec le programme USAID Power Central Asia, les États-Unis esquissent un rempart économique contre les incursions sino-russes, ce qui est sûrement le but caché de Washington.
La réunion a également servi à renforcer les relations bilatérales entre les États-Unis et chaque État d’Asie centrale. Cela pourrait ouvrir la voie à une coopération plus étroite dans des domaines tels que la sécurité, le commerce et les investissements. Ces manœuvres astucieuses des États-Unis en Asie centrale en 2023 dévoilent une tactique assidue pour garder leur influence intacte au maximum. Le jeu d’échec est complexe et les événements récents du Moyen Orient poussent cette complexité à son paroxysme.
En fin de compte, cette rencontre historique pourrait bien être le début d’une nouvelle ère dans les relations entre les États-Unis et l’Asie centrale, une ère qui pourrait voir une augmentation significative de l’engagement américain dans la région. Il faudra surveiller ce que fera la prochaine administration américaine qui arrivera au pouvoir en 2024. Affaire à suivre, donc…
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