Mise en contexte
L’élargissement de l’Union Européenne (UE) a été une réponse à la division de l’Europe survenue après la Seconde Guerre mondiale. Ces élargissements de l’UE étaient censés établir une paix durable sur le continent, stimuler la croissance économique et commerciale et renforcer la position de l’UE sur la scène internationale.
Cependant, les élargissements successifs de l’UE ont posé de nombreux défis, notamment la question de l’identité de l’UE et de ses objectifs politiques, et ont inévitablement soulevé la question controversée de ses frontières et de leurs limites.
Au cours du processus d’élargissement, la Commission européenne aide les pays souhaitant rejoindre l’UE à répondre aux critères nécessaires pour l’adhésion, et les soutient dans la mise en œuvre des réformes économiques et démocratiques associées.
Le sommet récent tenu à Granada a manifesté le soutien des 27 gouvernements de l’UE à l’incorporation de nouveaux pays dans le bloc, bien qu’aucun calendrier clair pour l’élargissement n’ait été fourni, avec seulement des promesses vagues de progrès d’ici 2030.
In fine, cela reflète les divisions internes sur la question, où certains leaders soutiennent qu’une adhésion élargie renforcerait l’influence géopolitique de l’UE, tandis que d’autres mettent en garde contre l’ajout de nouveaux membres à un bloc déjà bien difficile à gouverner. Certains parlent même d’une explosion de l’UE si elle s’agrandit dès maintenant…
Les élargissements se sont déjà avérés assez difficiles, en particulier avec des règles vieilles de plusieurs décennies, conçues à l’origine pour une douzaine de nations étroitement liées.
Les acteurs de l’élargissement
Lors d’un sommet à Grenade les 5 et 6 octobre, les dirigeants de l’UE ont discuté de la réforme du bloc des 27 en vue de l’accueil de nouveaux membres, marquant le début d’un long processus en préparation pour l’élargissement avec une date provisoire vers 2030.
Au total, ce sont huit pays qui ont le statut officielle de candidat à l’UE.
- La Turquie,
- l’Ukraine,
- la Moldavie,
- l’Albanie,
- la Bosnie-Herzégovine,
- le Monténégro,
- la Macédoine du Nord,
- la Serbie.
La Géorgie et le Kosovo sont des pays candidats potentiels mais ils n’ont pas encore le statut officiel.
Plusieurs motivations poussent les pays à candidater pour rejoindre le bloc de l’Union Européenne. Ils pensent à la stabilisation politique potentielle, l’alignement sur les normes de l’UE, et l’accès à son marché unique pour leur croissance économique.
Ursula Von der Leyen, qui tire les ficelles de l’UE, l’a exprimé clairement, l’UE doit se préparer à compter plus de 30 membres. Le président du Conseil européen, Charles Michel, avait fait la même déclaration comme quoi le bloc devait être prêt à augmenter ses effectifs d’ici 2030.
Cependant, cette réunion a soulevé plus de questions que de réponses. Le sommet a révélé des désaccords parmi les partenaires européens concernant le calendrier et la méthode de l’expansion, bien que tous conviennent que cela est devenu une nécessité géopolitique après le conflit en Ukraine.
Les obstacles à l’élargissement
Obstacle décisionnel
Des obstacles, il y en a de nombreux. Tant d’un point de vue décisionnel que financier. À ses débuts, il était déjà difficile de mettre une douzaine de pays d’accord alors imaginez maintenant à 27… Plus tard à 30, voire plus, cela promet. Voilà déjà un exemple de la complexité décisionnelle d’une telle machinerie.
C’est d’ailleurs un point saillant du sommet qui vise une refonte complète de son processus décisionnel. Se dirige-t-on vers la fin de l’unanimité pour enlever le pouvoir de veto à des pays que l’UE considère comme désalignés ? Question en suspens. Mais le dernier sommet à Grenade a mis en lumière ce désalignement.
Prenons des exemples concrets pour illustrer cela. D’un côté le premier ministre d’Estonie vante les bienfaits de l’expansion en citant son pays. Kaja Kallas, a mis en évidence les bénéfices qu’a connus l’Estonie depuis qu’elle a rejoint l’Union européenne en 2004. En moins de vingt ans, le pays est passé d’une économie relativement modeste à une économie dont le PIB se rapproche de la moyenne de l’UE. Pour elle, tous les membres bénéficient de l’expansion.
D’autres sont beaucoup plus sceptiques et sont sur la défensive. « Êtes-vous prêt pour cela? Les paysans français sont-ils prêts à cela ? Il y a tellement de questions de ce genre » déclarait Viktor Orbàn, actuel président de la Hongrie. Les Pays-Bas et le Danemark font aussi partis des pays les plus prudents quant à un élargissement, rejoignant ainsi la position de l’Hongrie.
Obstacle financier
Un autre obstacle important est l’aspect financier de l’expansion. L’élargissement de l’UE engendre des coûts supplémentaires, notamment en matière de subsides agricoles, de fonds de développement et d’autres aides financières destinées aux nouveaux membres. L’UE voudrait que les pays bénéficiaires des aides deviennent à leur tour des contributeurs pour l’adhésion de nouveaux pays.
L’Allemagne par le voix de son chancelier Olaf Scholz a tout de suite “mis les points sur les i”. Je cite : “Tout le monde sait qu’il n’est pas possible que tous les pays qui reçoivent des paiements nets aujourd’hui puissent compter sur eux à l’avenir”. “Ils devront contribuer au financement des processus de croissance économique dans les pays candidats à l’adhésion.”
Pour contrer ces craintes économiques, Von Der Leyen a insisté sur l’atout du marché unique de l’EU, son expansion bénéficierait à terme à toutes les parties concernées et serait une valeur ajoutée pour nous tous. (Vous noterez l’emploi du conditionnel).
Refonte globale
Comme nous l’avons déjà évoqué, le seul aspect qui semble rassembler tous les acteurs et pays membres de l’UE est le besoin d’une refonte globale du processus d’adhésion, tant décisionnel que financier. Le Premier ministre portugais, Antonio Costa, estime que l’élargissement nécessiterait une « réinvention totale » de l’architecture institutionnelle et budgétaire du club.
Cela rejoint la déclaration commune des dirigeants qui stipule qu’en parallèle des pays candidats qui doivent intensifier leurs efforts de réforme, notamment dans le domaine de l’État de droit, l’Union doit jeter les bases et procéder aux réformes internes nécessaires. Cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Défis temporel
En ce qui concerne la perspective temporelle, elle reste actuellement floue en raison de divergences d’opinions.
La déclaration adoptée vendredi ne fixe pas de manière explicite la date de 2030, comme l’avait suggéré Charles Michel. Certains étaient en faveur de cette date, tandis que d’autres étaient moins enthousiastes. Le libéral belge a déclaré que la date butoir était une incitation pour tous les États à se préparer à cette échéance, mais en coulisses, certains la considèrent comme une erreur.
Plusieurs dirigeants européens adoptent une attitude de temporisation. Le Premier ministre belge, Alexander de Croo, estime par exemple que l’Europe n’est pas encore prête pour l’élargissement, prétextant justement des réformes préalables nécessaires. Le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, partage cette opinion en soulignant la nécessité d’accélérer le processus tout en étant réaliste sur le temps que cela prendra.
Pour les pays candidats, une nouvelle étape sera franchie début novembre, lorsque la Commission européenne devra présenter ses recommandations sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie, qui ont obtenu le statut de candidat en juin 2022. Cette présentation permettra d’alimenter un débat éclairé lors du Conseil européen de décembre, selon la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen.
Bien qu’elle soutient l’adhésion de l’Ukraine, Ursula Von Der Leyen insiste sur le fait que l’élargissement de l’UE doit être fondé sur le mérite et appelle à la patience. Elle rappelle que la Croatie, dernier pays à avoir rejoint l’Union européenne en 2013, a suivi un processus formel de dix ans pour y parvenir. Cela peut même prendre encore davantage de temps, une manière de temporiser les différences d’opinions.
Zoom sur l’adhésion de l’Ukraine
L’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne fait couler beaucoup d’encre et était un sujet crucial lors de ce sommet. On comprend facilement pourquoi au vu de sa situation actuelle. Encore une fois, des avis divergents se sont fait entendre.
En évitant toute date butoire pour les nouveaux membres, on a évité un fossé au sommet entre ceux qui veulent attirer Kiev et d’autres pays candidats le plus rapidement possible, et d’autres qui veulent que le bloc européen soit plus patient, en organisant des discussions difficiles sur une question qui nécessite encore l’unanimité parmi les 27 Etats membres.
La plupart des pays de l’Union européenne ont exprimé depuis le début de la guerre en février 2022 leur engagement à travailler activement vers une « unité durable » avec l’Ukraine, qui éventuellement conduirait à l’adhésion de Kiev à l’Union. Viktor Orbán s’est fait une nouvelle fois remarqué en insistant sur la nécessité de repenser entièrement cette idée.
Orbán a souligné que l’élargissement de l’UE à un pays en situation de guerre n’avait jamais été entrepris auparavant, et que les frontières actuelles et la population de l’Ukraine demeuraient incertaines. Il a exprimé ses réserves en déclarant que « c’était douloureux d’envisager l’adhésion de ces pays à l’UE.«
La décision d’ouvrir officiellement les négociations avec l’Ukraine en décembre devra être prise par les dirigeants européens. Orbán a souligné que le bloc n’était toujours pas prêt à prendre de telles décisions majeures. De plus, la Hongrie, comme d’autres pays, détient un droit de veto sur cette question, qui exige l’unanimité.
La petite phrase d’Orbàn sur les paysans français que nous citer précédemment, faisait en effet référence à l’adhésion de l’Ukraine. Ce pays a d’énormes capacités agricoles et son arrivée sur le marché unique provoquerait de grandes secousses dans le secteur agricole pour d’autres nations comme la France.
L’Ukraine, la Moldavie et les pays des Balkans occidentaux devront répondre à des critères stricts pour rejoindre l’alliance, notamment des antécédents démocratiques et des performances économiques, afin de progresser sur la voie d’une éventuelle adhésion, un processus complexe qui prend en réalité des années.
Conclusion
L’ambition d’élargissement de l’Union Européenne expose de manière inquiétante les faiblesses structurelles et stratégiques du bloc face au complexe échiquier géopolitique actuel. La lenteur et l’indécision manifestes dans l’avancement du processus d’élargissement révèlent non seulement une incapacité à surmonter les défis internes, mais également une vulnérabilité face aux ambitions des acteurs géopolitiques extérieurs comme la Chine, la Russie ou même les États-Unis
Les hésitations actuelles autour de l’élargissement, exacerbées par des obstacles financiers, décisionnels et géopolitiques, ne font qu’augmenter les faiblesses de l’UE. Ces faiblesses, si elles ne sont pas traitées, pourraient potentiellement miner la position de l’UE sur la scène internationale, rendant son environnement périphérique plus susceptible aux influences externes antagonistes.
Le moment est donc propice pour l’UE de revoir de manière critique son approche envers l’élargissement, d’identifier des stratégies pragmatiques pour surmonter les obstacles identifiés et de réaffirmer son engagement envers une intégration régionale plus large, tout en fortifiant sa position géopolitique dans un monde en rapide mutation. L’inaction, par contre, pourrait coûter cher à l’UE, tant en termes d’influence que de sécurité régionale et la conduire à son éclatement.
Quittez la dictature numérique et économique grâce au Radar Financier :