Investir dans une mine : pour ou contre ?
Des sociétés minières sont toujours fermées dans le monde entier à cause de l’épidémie de coronavirus. La fermeture d’une mine, même temporaire, est un événement majeur incomparable au ralentissement d’une chaîne de production d’une usine ou la fermeture d’un commerce de détail. Mettre une mine sur « entretien et maintenance » implique un certain nombre de mesures pratiques. Juste pour en nommer quelques-uns, il s’agit de s’assurer du stockage sécurisé des stocks de minerais, de la mise en place de barrages de résidus miniers, d’éliminer les rebuts et les déchets, de stabiliser les pentes et les bancs, de gérer les eaux souterraines, de sécuriser le site, etc. De même, une fois que des mesures ont été prises pour fermer une mine et informer tous les employés, sous-traitants et superviseurs, le retour à pleine capacité prend ensuite un temps conséquent. Il faudra au moins quelques semaines, voire des mois pour les mines les plus grandes, avant que la production ne revienne à la normale.
Une pléthore de sociétés minières à travers le monde ont annoncé la suspension totale ou partielle de leurs opérations. C’est probablement pire que les quelques informations que je vais vous transmettre, car nous pouvons soupçonner que certains mineurs ont réduit leurs activités même s’ils ne l’ont pas annoncé. La fermeture des mines aura évidemment un impact sur les prix et l’approvisionnement en métal en 2020, ceci alors que la ruée vers l’or et l’argent physiques a littéralement explosé.
Or, pour réaliser un profit, les mineurs doivent pouvoir extraire des minerais. Jusque-là ce n’est pas un scoop, mais les investisseurs qui veulent tirer parti des potentialités de l’or et de l’argent en investissant dans des actions minières doivent se préparer à des conséquences sur les dividendes s’ils sélectionnent mal leurs investissements.Est-ce que les investisseurs devraient éviter les minières susceptibles d’être touchées par le coronavirus ? Cela dépendra. Les résultats du premier trimestre publiés pendant les mois d’avril et de mai 2020 ne sont pas forcément déterminants pour juger et jauger les minières à court terme (nous ferons un point sur les résultats dans la prochaine revue). Il s’agira donc de prendre en compte les fondamentaux avant investir (liquidité, endettement, diversité du portefeuille, etc.) et de faire un suivi précis sur les entreprises les plus performantes.
Les majors en sortiront-elles victorieuses ?
Les complications sont légion dans le secteur minier et face à de telles situations, ce sont les seniors, les royalties/streaming et les grandes entreprises intermédiaires qui tireront probablement leur épingle du jeu. Effectivement, les sociétés de l’industrie minière qui ont de la trésorerie peuvent ainsi être acquéreurs de toute entreprise intéressante dans le monde des juniors ou qui sera fortement impactée par la pandémie.
Je l’ai soutenu dans plusieurs écrits et vidéos, la crise du Covid-19 n’est qu’un catalyseur révélant les faiblesses structurelles de l’économie mondiale. Dans le cas des minières, et quelles que soient les conséquences de l’épidémie de coronavirus, le secteur minier junior du Canada dans son ensemble éprouvait déjà des difficultés par exemple. C’est en 2019 que les 1 138 sociétés minières et d’exploration inscrites à la Bourse de croissance TSX du Canada ont levé le moins d’argent depuis des années soit environ 2,1 Md $ ; 30 % de moins qu’en 2018 et 33 % de moins qu’en 2017. Seulement 28 nouvelles sociétés minières ont été répertoriées l’année dernière ; ce sont les chiffres les plus bas depuis au moins 2016.
Bien que la hausse des prix de l’or n’affecte pas directement les sociétés d’exploration et de développement qui ne produisent pas encore, il peut y avoir un effet d’entraînement qui peut avoir un intérêt dans l’investissement sur des juniors. Mais avec les évènements récents et un prix de l’or plus élevé, il y a un potentiel de reprise des fusions-acquisitions sur les sociétés les moins développées par les majors du secteur. Ce phénomène est d’ailleurs inhérent à toute crise : à chacune de ces périodes, il y a une purge des entreprises les plus faibles et les plus endettées. C’est pile à ce moment-là qu’une acquisition peut devenir intéressante pour un gros acteur.
Les seniors et autres majors du secteur aurifères semblent mieux placés pour résister à la récession attendue par rapport à d’autres secteurs de l’économie. L’industrie minière est peut-être un des secteurs les mieux positionnés pour traverser cette crise. Leurs bilans favorables, leur rentabilité et leurs attentes sur des prix de l’or toujours plus élevés laissent présager un bon avenir du secteur pour les prochaines années. La plupart des gros producteurs continueront probablement de verser des dividendes.
Quels dividendes ?
Cette année, Agnico Eagle Mines Ltd. s’est engagé a augmenté son dividende de 14 %, Barrick Gold de 25 % et Kirkland Lake Gold s’est engagée à le doubler. D’autres sociétés ont également fait des promesses similaires.
Les majors semblent être dans une situation suffisamment aisée pour accompagner la lutte contre le Covid-19 :
Barrick met la main à la poche avec 1,7 M$ mobilisés sous forme d’équipements essentiels et d’expertise pour aider à empêcher la propagation du virus en Tanzanie. Elle fait également un chèque de 530 000 $ à la Zambie pour aider le pays à contenir le Covid-19. Pour la Côte d’Ivoire, 1,3 M$ sont également fournis pour l’aide médicale et sociale, y compris la fourniture d’équipements de protection et de matériel sanitaire.
L’Australien Newcrest Mining (une des plus grosses minières du pays) a déclaré qu’il n’y avait aucun cas confirmé de Covid-19 dans aucun de ses projets et que toutes ses mines étaient en bon état de fonctionnement. La société a annoncé mardi avoir créé un fonds de soutien communautaire de 20 M$ australiens pour lutter contre le coronavirus. Environ la moitié du fonds sera consacrée à aider la Papouasie-Nouvelle-Guinée et une autre partie sera notamment consacrée à la recherche sur un vaccin.
Le Canadien Franco-Nevada prévoyait que son portefeuille existant produirait entre 580 000 et 610 000 GEO (Gold Equivalent Once soit l’or et les autres sous-produits miniers produits) d’ici 2024. La société a déclaré qu’elle était financièrement solide et sans dette pour résister à l’impact de la pandémie avec environ 205 M$ de dollars en espèces et 1,1 Md $ de crédit non utilisé disponibles.
Mais la réalité du confinement va néanmoins abaisser les espérances et les revenus vont baisser à court terme. Agnico Eagle serait par exemple une des majors aurifères les plus touchées du point de vue de la fermeture de la mine avec actuellement près de 90 % de ses opérations minières fermées ou en réduction en raison des précautions à prendre.
La rémunération des actionnaires en a déjà pris un coup :
- Le Britannique Hochschild Mining, qui est concentré en Amérique latine, a mis de côté ses plans de paiement d’un dividende final pour 2019 pour préserver sa trésorerie,
- Son compatriote Central Asia Metals a également choisi de reporter son dividende final pour 2019,
- L’Anglo-Suisse Glencore a reporté fin mars 2,6 Md $ de distributions de dividendes,
- L’Américain Freeport-McMoRan a déclaré fin mars que son conseil d’administration avait décidé de suspendre le dividende trimestriel en espèces de 0,5 $ par action,
- L’Australien Northern Star Resources a différé le paiement de son acompte sur dividende.
Même si des facteurs suggèrent que les prix de l’or continueront d’augmenter, y compris les craintes d’une pandémie mondiale combinée à des taux d’intérêt bas, nous pouvons rester sceptiques quant aux sociétés d’extraction d’or qui abaissent leurs prévisions de production 2020 ou qui devrait le faire au vu de la situation. Un tiers des mineurs d’or cotés au NYSE (plus grande bourse mondiale) ont retiré les prévisions de production pour 2020, selon les données compilées par l’entreprise mondiale de métaux précieux Kitco.
Les résultats du premier trimestre ne seront sûrement pas au beau fixe pour tout le monde en raison des fermetures temporaires de mines (nous verrons cela dans le prochain numéro) et cette situation nous laisse dans une certaine incertitude quant au deuxième trimestre. Il faudra donc suivre ces événements miniers de près.
Conclusion provisoire
Nous sommes confrontés depuis plusieurs mois à de sévères restrictions sur nos vies sociales et professionnelles et les mines ne pourront pas fonctionner correctement dans les prochaines semaines et prochains mois. Le grand boom de la demande de pièces d’or et d’argent se répercutera rapidement sur les mines et nous pouvons nous attendre à une accélération rapide de la production une fois le confinement mondial terminé.
L’industrie minière notamment aurifère a des chances de se démarquer en tant qu’actif de premier choix quand les investisseurs commenceront à décider où placer leur argent en cas de nouvelle secousse des marchés. Il est toujours possible néanmoins que davantage de pays ferment leurs mines pendant une période prolongée alors que la contagion mondiale continue de se propager et sachant qu’un vaccin ne devrait pas émerger pas avant deux ans ou 18 mois dans le meilleur des cas.
Nous prévoyons dans tous les cas de tirer pleinement parti de cette situation avec le Portefeuille Alternatif le moment venu, pour acquérir des actions minières de qualité à bon prix.
La bonne performance des métaux précieux en 2019 dévoileront cette année les mineurs les mieux gérés, autrement dit ceux qui devraient le mieux résister au ralentissement. Nous verrons quelques positions de sociétés minières intéressantes dans le prochain numéro avec tous les résultats officiels de 2019 qui viennent de tomber et les résultats du premier trimestre 2020.
Cet extrait d’analyse est disponible en version intégrale dans la Revue Or & Argent n°2 d’Avril 2020.
Franck Pengam