Chers lecteurs,
Qu’est-ce que la Chine ?
Du voyage de Marco Polo, aux chinoiseries de Versailles, jusqu’à l’époque de Tiktok et des femmes qui se font agrandir les jambes pour ressembler aux occidentales, la Chine nous a toujours paru comme une sorte d’inconnue, belle et fascinante oscillant entre la grandeur et l’absurdité.
Je vous invite, lecteur, pour comprendre davantage ce dont je parle, à relire cette phrase si juste de Victor Hugo dans sa lettre adressée au capitaine Butler, pendant la deuxième Guerre de l’Opium, après le sac du Palais d’été par les armées françaises et anglaises.
« L’art a deux principes, l’Idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. »
Jamais résumé ne fut plus concis et plus juste de ce qui nous sépare de cet Extrême-Orient en général et de la Chine en particulier. La chimère, c’est cet assemblage disparate et monstrueux de divers animaux, en général le lion la chèvre et le serpent. C’est-à-dire, pour approfondir un peu la parole d’Hugo, que chez nous autres, occidentaux, l’art a pour principe l’idée que l’on cherche à incarner. Dieux, Déesses, Sainte-Trinité, Justice, batailles, l’art occidental et particulièrement l’art franco-italien cherche à véhiculer l’harmonie, l’ordre et la cohérence. Le Bien se confond avec le vrai, qui se traduit dans le beau.
L’art chinois à l’inverse, est désordre, créatures étranges, architecture chaotique, mais non sans beauté. Je laisse Hugo de nouveau vous dresser le portrait de ce Palais d’été tant cela décrit si bien ce qu’est la Chine.
« Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. »
Une histoire de guerres civiles
Et là, lecteurs, vous vous demandez pourquoi je vous parle d’Hugo, de l’art oriental, du Palais d’été. La réponse est simple. Comprendre la Chine est devenu un impératif à tout investisseur aujourd’hui. Il ne s’agit pas que d’en connaitre l’économie actuelle, son état, ses performances, ses bonds plans. Jamais comprendre ce grand Autre d’un milliard et demi d’habitants au-delà des clichés et des idées reçues n’a été si nécessaire.
Je souhaite, dans une série de deux ou trois articles, mettre dans un tout cohérent un propos sur la Chine et le Yuan, en m’inspirant de divers travaux sur des points particuliers qui, tous, sont d’excellente qualité dans leur domaine, mais ne permette pas d’introduire une bonne compréhension du phénomène chinois.
Je dis bien introduire, il est certain, lecteurs, que je ne peux pas en quelques articles, brasser avec précision et exhaustivité ce que des ouvrages de plusieurs centaines de pages écrits par des historiens et des spécialistes sinisants -ce que je ne suis pas- peinent ou échouent carrément à faire. Mais, à tout le moins, après m’avoir lu, j’espère que vous aurez une petite vue d’ensemble, qui vous permettra de comprendre cet Empire Monde si loin, si complexe et si différent de nous. Cet éloignement d’ailleurs ne l’empêche pas d’exercer une influence considérable sur la perception que nous avons de lui. Il faut l’admettre, la Chine a su parfaitement maîtriser sa marque et sa communication auprès du monde, occidental ou non.
Je m’attacherai précisément, dans ce premier article, à illustrer comment l’Etat chinois a su parfaitement récupérer l’histoire parfois douloureuse de ce pays pour influencer les Occidentaux, des gouvernements jusqu’aux petites gens.
J’étudierai deux sujets précis qui me permettent de l’illustrer. Le premier, c’est la perception générale que nous avons de ce que l’on nomme conventionnellement la civilisation chinoise. Le second concerne les fameuses Guerres de l’Opium et la différence entre la réalité historique et la façon dont la Chine nous l’a fait percevoir à nous occidentaux, mais aussi au monde.
Le discours officiel de l’État chinois sur l’histoire de la Chine et dans le rapport que celle-ci entretient avec son passé pose un gros problème à toute personne qui essaie de comprendre ce pays. L’État chinois a en effet repris dans sa propagande avec beaucoup de véhémence et de succès de très nombreux stéréotypes occidentaux sur elle-même. L’Histoire de la Chine, en Chine, est devenue un enjeu politique majeur dans sa stratégie de soft power vis-à-vis du monde depuis l’accession au pouvoir du Président Hu Jintao puis de façon encore plus prononcée, avec l’arrivée au pouvoir suprême de Xi Jinping. Le nationalisme du PCC a ainsi transpiré dans les enseignements et même dans les doctrines que doivent porter les étudiants chinois à l’étranger.
Dans son dernier cours au Collège de France, l’éminente spécialiste Anne Cheng analyse parfaitement les ressorts de cet enseignement mensonger, tronqué et grandement mythologique de l’histoire de la civilisation chinoise. Elle y démontre, recherches à l’appui, que certains lieux communs, comme le fait que la civilisation chinoise aurait « 6000 ans » est parfaitement fantaisiste.
Elle nous apprend que la Chine investit des sommes colossales dans les départements d’archéologie de son pays. Ce qui n’est pas sans rappeler exactement ce qu’avaient fait les nazis après leur arrivée au pouvoir en Allemagne. Non pas que je compare les deux pays, cela n’aurait aucun sens. Mais l’objectif est précisément le même : prouver une forme d’antiquité, la plus haute possible, à l’excellence, dans le cas des nazis d’une race, dans le cas de la Chine, d’une civilisation.
L’objectif chinois est interne et externe. Interne, car la Chine n’est pas un pays à l’histoire tranquille où l’on y construisait des palais d’été en mangeant des nouilles, habillés dans de sublimes costumes de soie d’un côté tout en calligraphiant de superbes idéogrammes de l’autre, en méditant sur la générosité du Boudha. Comme la France, la Chine est un pays de guerre civile et la grande dialectique qui traverse l’histoire chinoise est celle de l’unité et de la division, bien plus que toute autre nation, exceptée peut-être, justement, de la France.
L’ancienne Chine a été parfois divisée en six, trois, cinq, et parfois, elle a été près de 25% plus étendue que la Chine actuelle. Sans entrer dans les détails, les changements de dynastie en Chine n’ont également rien eu d’évident, il faut se garder d’une vision de l’histoire chinoise calquant nos changements de dynasties relativement rapides et simples des monarchies européennes.
Je prendrai, lecteurs, l’exemple de la transition entre la dynastie Ming et la dynastie Qing, au milieu du XVIIème siècle. La conquête de la Chine engagée par les Qing, une dynastie mandchoue, commence à la fin des années 1630. Officiellement, la capitale est prise en 1644, date retenue par l’historiographie pour le transfert du « Mandat du Ciel » et à partir de laquelle on considère que la dynastie a changé. Pourtant, près de la moitié de la Chine reste fidèle aux Ming et la guerre de conquête sera encore très vive jusque dans les années 1660. Il faudra attendre 1680 pour que les dernières poches de résistances significatives Ming soient définitivement mises au pas.
Une instrumentalisation des épisodes historiques de la Chine
Le gouvernement chinois se rendant compte qu’il peut culpabiliser les Occidentaux et fraterniser avec le Tiers-Monde en grossissant l’épisode des Guerres de l’Opium
Vous comprenez donc, lecteurs, l’obsession chinoise de l’unité de l’État et du pays, lorsqu’un changement de régime politique peut prendre à lui seul 50 ans, et qu’une guerre civile peut durer des décennies, le désordre n’est pas une option. Or, il faut pour cela s’assurer que la population communie au même catéchisme. Ce fut le principe impérial jusqu’en 1911, puis, le principe nationaliste jusqu’à aujourd’hui. Même l’intermède maoïste n’a pu occulter cette dimension nationaliste nécessaire à l’unité de la Chine.
Comme tous les régimes autoritaires souhaitant assurer leur pérennité et ayant la chance de disposer d’une histoire glorieuse, la réinterprétation pour ne pas dire la falsification de son histoire, est la norme, tous les pays en ont usé.
Ce qui amène la question des fameuses Guerres de l’Opium. Si le premier principe qui guide l’histoire chinoise est la dialectique entre division et unité, le second est indubitablement la dialectique entre son ouverture ou sa fermeture au monde extérieur. Je n’entrerai pas ici dans le détail de ce que furent les guerres de l’opium. Pour résumer, les déséquilibres monétaires résultant des excédents commerciaux chinois vis-à-vis de la Grande-Bretagne entraînaient des fuites de capitaux que la Grande-Bretagne ne pouvait soutenir longtemps. Or, par la possession de l’Inde et du Pakistan, l’Empire britannique possédait un produit en quantités importantes, l’opium, issu des grosses cultures de pavot de ces régions, susceptible de rééquilibrer ces échanges.
Les Empereurs chinois avaient depuis longtemps interdit l’opium. Prétextant une agression contre un officier de la marine britannique, l’Angleterre déclara la guerre, et fit ouvrir de force les ports commerciaux les plus importants du pays pour y vendre de l’opium. Cet épisode est aujourd’hui utilisé -à tort ou à raison- par le gouvernement chinois pour justifier de ses prétentions à la puissance, et obtenir les moyens de souveraineté afin que jamais plus la Chine ne soit humiliée par les autres puissances du monde. Beaucoup d’occidentaux, y compris occupant des places dans des gouvernements ou des Assemblées parlementaires, rappellent ces guerres assez honteuses, il faut l’admettre, pour l’histoire occidentale, puisqu’elles ont effectivement entraîné un problème de consommation de drogue massive en Chine qui n’a toujours pas été réglée aujourd’hui.
Toujours est-il que ces Guerres de l’Opium furent tout au plus quelques escarmouches, et qu’en réalité, ni l’Empereur, ni la majorité des Chinois vivant ailleurs que dans les principales villes portuaires du pays, n’ont ressenti sur le moment, les effets qu’on leur a donnés. C’est le courant nationaliste chinois qui a amplifié et reconstruit l’humiliation chinoise au prisme des humiliations très réelles de l’accaparement de la Chine par les principales puissances du monde à partir des années 1880. On a ainsi la création de toute pièce, à des fins politiques, de tout un objet historiographique, le XIXème siècle chinois, ce siècle des humiliations et de l’abaissement, utilisé à merveille comme arme de propagande par le gouvernement chinois, y compris dans ses relations avec le Tiers-Monde -nous le verrons dans le second article lorsque j’aborderai les relations entre l’Afrique et la Chine- pour faire avancer ses intérêts.
Le gouvernement de Xi Xinping est entré dans une phase de conquête de l’hégémonie régionale d’abord, et vise ensuite à projeter sa puissance dans le reste du monde, ce qui n’est pas du tout dans la mentalité historique des Chinois, ethno-centrés, et estimant que seule la Chine représente réellement le monde civilisé. Le PCC a dû donc utiliser le sentiment national pour vendre aux Chinois ses grands projets, et il a globalement réussi, en s’appuyant sur deux éléments de la culture chinoise. L’idée confucéenne du retour à l’ordre naturel des choses, c’est-à-dire au retour de la Chine comme première puissance mondiale et plus grande civilisation du monde, et enfin la possibilité pour le plus de chinois possible d’accéder à une mode de vie matériellement comparable à celui des Américains.
Sur cette base, le gouvernement chinois a développé une stratégie de puissance qui a donné naissance à la rivalité sino-américaine.
C’est de cela que nous parlerons la semaine prochaine, lecteurs. Car, je pense qu’il n’est pas possible de comprendre l’originalité et le contexte de la stratégie développé par la Chine, ainsi que de nombreux problèmes pour l’investisseur qui regarde ce que l’on appelle les marchés émergents dont la Chine fait encore techniquement partie.
Bien à vous,
Raoul de Beaumanoir
Pour investir dans les marchés émergeants + obligations chinoises et russes !
2 Responses
Il n’y a pas que la Chine qui soit inconnue.
Mais bon, commençons par elle…
https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/chineetjapon.html