LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES DE L’IMMIGRATION : VERS UN CHANGEMENT DE POPULATION ? (1/2)

Immigration et géopolitique économique

​​Cet article s’appuie principalement sur les sources de la revue Conflits n° 22 de juillet-août-septembre 2019.


Introduction

Cet article approfondit notre synthèse précédente sur la démographie avec la question migratoire.

Aujourd’hui, il y a autant de migration vers le Sud de la planète que vers le Nord. Il y a quatre types de flux migratoires :

  1. Une migration Nord-Sud avec des migrants qualifiés et des seniors en quête d’une retraite au soleil,
  2. Une migration Nord-Nord de qualifiés,
  3. Une migration Sud-Sud avec des réfugiés, des migrants de travail et des déplacés environnementaux,
  4. Une migration Sud-Nord, celle dont on parle le plus et dont on va parler, qui concerne des migrants de travail, des réfugiés, des qualifiés et un nombre conséquent de regroupements familiaux.

Voyageons aux quatre coins du globe pour tenter d’appréhender l’immigration sous un angle dépassionné et rationnel. 

L’immigration européenne récente

Historiquement, l’Europe n’est pas un continent d’immigration. Elle était même à l’époque la principale région de départ des migrants qui allaient notamment en Amérique du Nord. L’Europe est aujourd’hui la première région d’accueil avec plus du tiers des migrants. Donc contrairement à un dogme bien établi, les pays européens, et surtout ouest européens, sont les États les plus généreux avec les migrants.

En 2005, sur 191 millions d’immigrants dans le monde, 41 millions résidaient dans l’Union européenne dont 2 millions de personnes estimées en situation illégale. Depuis 25 ans, 3 millions de clandestins ont été régularisés sur le continent et le pic migratoire de 2015 (cf. ma vidéo sur le sujet) a amené cette année-là 1 million d’individus dont environ 350 000 clandestins à entrer dans l’Union européenne, soit 85 % de hausse par rapport à 2014. Mais ces chiffres ne sont qu’un détail par rapport aux flux migratoires réguliers et puissants. Remontons un peu dans le temps.

L’immigration européenne après-guerre

Après la Deuxième Guerre mondiale et durant les Trente Glorieuses, les besoins d’une main-d’œuvre pour la reconstruction, puis pour le développement industriel, ont poussé les Etats et les entreprises à faire appel à une immigration de travail saisonnier. Près de 10 millions de personnes ont été concernées par ces mouvements migratoires : Turcs et Yougoslaves pour l’Allemagne, Algériens, Italiens, Portugais et Espagnols pour la France. S’il existait déjà depuis longtemps des flux intra-européens d’Italiens, de Portugais ou d’Espagnols vers la France, ils se sont réduits progressivement avec le développement des pays de départ. Le rapatriement des pieds-noirs du Maghreb vers la France et le regroupement familial de 1974 ont transformé l’immigration saisonnière de travail en immigration permanente d’installation familiale.

Le regroupement familial est de ce fait devenu aujourd’hui la première raison d’installation durable et la source majeure d’immigration en Europe occidentale, loin devant le travail ou l’asile politique. Ce regroupement est protégé par le droit de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’Homme, il faut donc avoir les nerfs solides si l’on veut s’y attaquer. L’immigration a radicalement changé depuis les années 1970, les distances entre les sociétés de départ et d’accueil se sont accrues que ce soit en kilomètres ou en écarts culturels. En plus du nombre de personnes, l’assimilation devient de plus en plus difficile en France et seule l’intégration est réclamée (et encore). À l’inverse le modèle communautariste anglo-saxon progresse avec des quotas pour les minorités ethniques, l’adaptation des pratiques alimentaires, l’acceptation des règles vestimentaires, etc.

Le solde migratoire, c’est-à-dire la différence globale entre le nombre d’immigrants et le nombre d’émigrants, représente 80 % de l’augmentation démographique de l’Union européenne. La proportion d’immigrés dans la population française est passée de 5 % en 1946 à 9 % en 2017, dont 41 % ont acquis la nationalité française, selon l’INSEE et l’OCDE. Les 45 000 mariages mixtes célébrés tous les ans en France, soit 17 % du total des mariages, ajoutés aux 45 000 mariages célébrés à l’étranger constituent la voie normale d’accès au droit de séjour. Ainsi, 85 % des entrées permanentes en France sont de droit et échappent à l’interprétation du pouvoir exécutif : cette immigration est essentiellement extra-européenne. En 2017, 44 % des six millions d’immigrés vivant en France métropolitaine viennent d’Afrique et 36 % d’Europe selon l’INSEE. La même année, le nombre d’immigrés subsahariens a augmenté de 52 % en 10 ans avec 955 000 individus supplémentaires dépassant le nombre d’immigrés algériens. L’immigration clandestine notamment issue du Ghana, du Bénin ou du Nigéria passe quant à elle par les aéroports avec des visas touristiques rapidement dépassés et non renouvelés. D’autres déposent un dossier de demandeur d’asile et restent sur le territoire après un refus de l’administration. Le mariage blanc, la maladie, la naissance d’un enfant sur le sol français sont des méthodes parmi d’autres pour demeurer en France.

Petite parenthèse. L’essentiel des Africains migre aujourd’hui à l’intérieur de l’Afrique vers deux grands pôles d’attraction que sont le Maghreb et l’Afrique du Sud ; 80 % des mouvements migratoires africains se font à l’intérieur du continent noir. En effet, les populations les plus pauvres ne peuvent pas migrer très loin en Europe ou ailleurs faute de moyens et l’universitaire Stephen Smith a montré que les populations africaines pouvant émigrer en Europe font en réalité partie de la classe moyenne de leur pays de départ. À ce propos, un paradoxe important a été énoncé par l’économiste britannique Paul Collier qui dit que le développement du sud fait également augmenter l’émigration du Sud vers le Nord, car elle revient à donner à ceux qui ont des envies d’ailleurs les moyens de les concrétiser.

Immigration, invasion et migrant

La distinction entre migrant et réfugié 

Petite précision sémantique avant de continuer. Le terme de réfugié renvoie à un statut reconnu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Ce statut énonce que :

« toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette craindre, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Le réfugié est donc protégé juridiquement et peut bénéficier d’une carte de résident valable 10 ans si le statut lui est attribué par un pays d’accueil. Les réfugiés représentent 7 % des migrants internationaux soit 15 millions de personnes selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés. Le réfugié a donc un statut juridique à différencier du migrant, de l’immigré ou de l’immigrant qui est quelqu’un qui change de pays pour une durée indéterminée et pour une raison qui lui est propre. Il ne bénéficie donc d’aucun statut particulier mis à part celui que le pays d’accueil veut bien lui fournir. Les termes regroupent aussi bien l’immigré légal que le clandestin et entretiennent la confusion entre migrant et réfugié.

​En 2017, l’Union européenne a reçu 649 000 demandes d’asile, 23 % venaient de zones de guerre (notamment de Syrie et d’Irak), 16,3 % de pays marqués par des violences localisées (Afghanistan, Érythrée, Nigéria) et le reste venaient de pays peu développés (Pakistan, Albanie, Bangladesh, Afrique subsaharienne, etc.). Les victimes de guerres sont donc loin d’être majoritaires alors que les médias et l’État ont popularisé le terme de « réfugié politique » à toutes les sauces. D’ailleurs, la plupart des migrants des années 2010 sont originaires de l’Est de l’Afrique, de pays tels que le Soudan, le Sud-Soudan, l’Érythrée ou l’Éthiopie, alors que l’on s’est souvent focalisé sur les migrations générées par la guerre syrienne.

A suivre

Franck Pengam

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