Guerre clandestine : les opérations secrètes et invisibles en Ukraine

Le 3 juin à 7h, Sylvain Ferreira et Jacques Baud sont les invités de La Matinale animée par Nicolas Stoquer en direct sur Géopolitique Profonde.

Sylvain Ferreira est un historien militaire français, spécialisé dans l’art de la guerre et son évolution de 1850 à 1945. Il s’intéresse particulièrement à l’impact de l’ère industrielle sur les combattants et a contribué à plusieurs revues d’histoire militaire. Auteur et concepteur de jeux de stratégie, il a récemment publié La bataille de Marioupol : 25 février – 20 mai 2022.

Jacques Baud est un ancien colonel de l’armée suisse, analyste stratégique, spécialiste du renseignement et du terrorisme. Il a été formé dans les services de renseignement américain et britannique, et a participé à plusieurs missions des Nations unies en Afrique et au Soudan.
Il nous présente son dernier ouvrage s’intitule Guerre secrète en Ukraine, aux Éditions Max Milo.

Opérations clandestines et illusions de maîtrise

La guerre en Ukraine n’est pas seulement un affrontement militaire. C’est avant tout un conflit multidimensionnel, mené autant dans les tranchées que dans l’ombre des services de renseignement. Depuis 2014, les opérations secrètes se multiplient, portées par des agences ukrainiennes comme le SBU ou le GUR, entraînées, financées et coordonnées avec l’appui direct de la CIA et du MI6.

Ces structures ont créé une force parallèle, spécialisée dans les assassinats ciblés, les sabotages et les incursions derrière les lignes ennemies. Ces actions, bien loin d’être improvisées, s’inscrivent dans une stratégie profonde, qui vise à déstabiliser l’ennemi sans passer par une déclaration de guerre formelle.

Mais l’illusion de contrôle persiste. Ceux qui planifient ces missions croient pouvoir jouer aux équilibristes sur un fil tendu au-dessus du gouffre nucléaire. Or, chaque opération clandestine alimente une dynamique de représailles incontrôlables.

En frappant sur le territoire russe avec des drones ou en sabotant des infrastructures stratégiques comme Nord Stream, Kiev — avec l’aval tacite de ses alliés — expose l’Europe entière à une réaction dévastatrice. Le récit d’une guerre propre, confinée, chirurgicale, se heurte à la réalité : celle d’un engrenage alimenté par le secret, qui court droit vers l’abîme.

Opérations clandestines en Ukraine : la guerre des élites et les assassinats ciblés

L’élimination des élites économiques et militaires n’est pas un dommage collatéral de la guerre : c’est une tactique centrale. Depuis le début du conflit, plus d’une douzaine d’oligarques russes ont été retrouvés morts dans des conditions suspectes, en Russie comme en Europe. Les mises en scène sont répétitives : pendaisons, suicides familiaux, défenestrations.

Derrière cette série noire, un objectif clair : démoraliser les soutiens économiques de Moscou, semer la peur au sommet, fissurer les alliances internes. Les réseaux occidentaux d’opérations spéciales connaissent parfaitement les mécanismes de pression psychologique, et les appliquent ici avec méthode.

Ce climat de purge ciblée s’étend au-delà des frontières russes. Des figures médiatiques pro-Kremlin comme Vladlen Tatarski sont éliminées à Saint-Pétersbourg dans des attentats aux explosifs. Des collaborateurs civils ou militaires sont exécutés dans les zones reconquises par l’Ukraine.

Ces actions, bien que souvent revendiquées par des groupes dissidents, relèvent d’une stratégie bien rodée d’assainissement politique. Elles témoignent d’une guerre où la ligne de front se confond avec les salons, les bureaux, les médias. Où la mort ne vient pas toujours du ciel, mais s’infiltre par les réseaux et les secrets.

Guerre hybride et seuil nucléaire

Le concept de guerre hybride n’est plus une théorie académique. En Ukraine, il se manifeste dans l’enchevêtrement des moyens militaires conventionnels, des sabotages industriels, des cyberattaques, et des manipulations informationnelles. L’État profond américain joue un rôle central dans cette orchestration.

En dehors de tout contrôle démocratique, des fractions de la CIA, du Pentagone et de leurs partenaires anglo-saxons poursuivent une logique d’intensification du conflit. Ces entités ne relèvent ni du Congrès, ni de la Maison-Blanche, et encore moins de la volonté populaire. Elles agissent selon une doctrine : maintenir la Russie sous pression, par tous les moyens disponibles.

Ce qui rend cette situation explosive, c’est que Moscou voit, comprend, et anticipe. Les services russes savent ce que font les Occidentaux. Ils identifient les opérations de sabotage, interceptent les communications, et mesurent l’ampleur des ingérences. Cette conscience mutuelle transforme la guerre de l’ombre en guerre de la pénombre, où chacun fait semblant d’ignorer ce que tout le monde sait.

Mais cette mascarade touche à sa fin. L’accumulation des attaques contre le territoire russe, même menées par procuration, pousse le Kremlin à envisager des réponses asymétriques, y compris nucléaires. La dissuasion ne repose plus sur des silos de missiles, mais sur la stabilité d’un théâtre clandestin en ruine.