🔥 Les essentiels de cette actualité
- Le 9 mai en Russie, bien plus qu’une commémoration : un pilier du récit national et un outil de légitimation politique pour le Kremlin. Comprendre cette date, c’est saisir les fondations de la diplomatie russe.
- En 2025, Moscou transforme le 80ème anniversaire de la victoire en manifeste géopolitique, avec des chefs d’État du Sud global et de l’Asie. Une démonstration de puissance et un message stratégique.
- L’absence des dirigeants occidentaux illustre une rupture totale sur la mémoire. La Slovaquie brise le consensus européen, provoquant une tempête politique à Bruxelles.
Le 19 avril à 19h, Dimitri de Kochko est l’invité de Lara Stam, dans Le Monde Réel sur la chaîne Youtube de Géopolitique Profonde !
Dimitri de Kochko est journaliste, réalisateur et militant associatif. Il est un acteur incontournable des relations franco-russes. Président de Stop Russophobie et fondateur de l’association France-Oural, il est également à l’origine de plusieurs initiatives culturelles majeures, comme le Prix Russophonie et les Journées du Livre Russe. Son expertise sur la Russie et ses implications géopolitiques sera précieuse pour décrypter le récent désengagement de Moscou en Syrie.
Lara Stam est chroniqueuse et animatrice, passée par Radio Courtoisie avant de rejoindre Géopolitique Profonde et GPTV. Spécialiste des questions de souveraineté et d’indépendance géopolitique, elle décrypte avec un ton incisif les crises internationales et les rapports de force mondiaux. Elle traite notamment des conflits oubliés (Arménie-Haut-Karabagh) et des enjeux multipolaires. Sur GPTV, elle a animé une émission nocturne, « Un Soir avec Lara », et contribue à d’autres formats comme « La Grande émission » sur GPTV et « Le Libre Journal de Géopolitique Profonde » sur Radio Courtoisie.
La Grande Guerre Patriotique, pilier du récit national russe
En Russie, le 9 mai est bien plus qu’une commémoration. C’est un acte fondateur du patriotisme d’État, un mythe fédérateur, un ciment national. Cette date ne célèbre pas seulement la victoire militaire sur le nazisme ; elle incarne la résilience d’un peuple et la légitimité historique du pouvoir. Plus de 27 millions de morts, des villes rayées de la carte, une mobilisation totale de la société : la Grande Guerre Patriotique constitue l’épreuve ultime à laquelle l’URSS a survécu, et qui justifie encore aujourd’hui la force et la centralité de l’État.
Le Kremlin a systématiquement entretenu cette mémoire comme outil de légitimation politique. Depuis deux décennies, Vladimir Poutine a réinstallé le 9 mai au cœur de la narration historique officielle. Films, manuels scolaires, cérémonies militaires, expositions : toute la culture publique russe est imprégnée de cette guerre. Elle n’est pas enseignée, elle est glorifiée. Les vétérans sont honorés, les déserteurs effacés, les souffrances transformées en épopée. Le récit est verrouillé, la version unique, et toute contestation est assimilée à un acte antipatriotique.
Ce culte de la victoire a également une fonction externe. Face à l’Occident jugé amnésique, la Russie se pose en gardienne de la mémoire historique. Les dirigeants russes dénoncent systématiquement la « falsification de l’Histoire » par les élites européennes et américaines, accusées d’omettre ou de minimiser l’apport décisif de l’Armée rouge dans la défaite du nazisme. La mémoire devient alors une arme, un bouclier idéologique contre ce que Moscou présente comme l’arrogance et l’ingratitude occidentales.
Une célébration géopolitique assumée
Le 9 mai 2025 marque les 80 ans de la capitulation du IIIe Reich, et Moscou entend transformer cet anniversaire en manifeste géopolitique. La cérémonie ne se limite plus à un hommage aux morts : elle devient une démonstration de puissance, un message stratégique, une mise en scène des nouveaux équilibres mondiaux. La présence de plus de vingt chefs d’État, dont Xi Jinping, Lula, Maduro, donne à cet événement une dimension globale, tournée résolument vers le Sud global et l’Asie.
Ce choix d’alliés n’est pas anodin. La Russie et la Chine affichent ouvertement leur volonté de redéfinir l’ordre international. En harmonisant leurs commémorations, en réaffirmant leurs convergences historiques, les deux puissances imposent leur lecture commune de l’histoire : celle d’une lutte contre le fascisme, menée non par les démocraties libérales mais par les grandes puissances continentales, indépendantes de Washington et de Bruxelles. Cette narration est aussi une légitimation de leurs régimes actuels, présentés comme les héritiers directs des combattants de 1945.
La cérémonie devient alors un théâtre diplomatique, où les absences comptent autant que les présences. La mise à l’écart volontaire des pays occidentaux n’est pas un désaveu pour Moscou, c’est au contraire une opportunité de réaffirmer sa souveraineté narrative. Le Kremlin veut imposer sa version des faits, sans compromis, sans débats. Et cette version est désormais soutenue par une constellation d’États qui contestent ouvertement la domination occidentale sur le récit historique mondial.
L’Europe en retrait, la mémoire comme ligne de fracture
L’absence des dirigeants occidentaux lors des cérémonies du 9 mai 2025 illustre la rupture totale entre la Russie et l’Europe sur le terrain de la mémoire. Bruxelles a non seulement boycotté l’événement, elle a activement incité ses membres à faire de même, préférant envoyer des représentants à Kiev. Ce choix n’est pas neutre. Il reflète une volonté de réécrire les symboles, de transférer la légitimité historique des vainqueurs de 1945 vers les nouvelles figures de résistance face à Moscou.
Cette attitude provoque une scission profonde. Aux yeux des Russes, il s’agit d’un affront historique, d’un mépris délibéré des sacrifices soviétiques. Ce rejet alimente un ressentiment ancien et ravive les blessures non cicatrisées de l’après-guerre. Le narratif occidental, qui insiste sur les crimes du stalinisme tout en minimisant l’héroïsme de l’Armée rouge, est perçu comme une insulte nationale. La Russie ne demande pas la reconnaissance de ses torts, elle exige la reconnaissance de sa victoire.
La Slovaquie incarne parfaitement cette ligne de fracture. Le Premier ministre Robert Fico, en affirmant sa participation à la cérémonie de Moscou, brise le consensus européen. Son discours est clair : « Nous devons rendre hommage à ceux qui ont libéré notre pays ». Cette décision a déclenché une tempête politique à Bruxelles et une vague de manifestations à Bratislava. La mémoire devient un champ de bataille idéologique, où se jouent les appartenances, les fidélités, et la reconfiguration des alliances au sein même de l’Union européenne.
e 9 mai en Russie dépasse largement le cadre d’une commémoration. Il s’agit d’un rituel national puissant, vecteur d’un récit historique exclusif qui forge l’unité intérieure et sert les ambitions internationales de Moscou.
À travers cette date, le pouvoir russe affirme sa propre lecture de l’Histoire, et impose une vision du monde qui conteste frontalement celle de l’Occident. Comprendre la signification du 9 mai en Russie, c’est saisir les fondations idéologiques de sa diplomatie contemporaine.
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