Les banques centrales étaient censées ralentir significativement leurs achats d’or cette année
A l’échelle mondiale, les banques centrales et les organisations supranationales, telles que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque des Règlements Internationaux (BRI), détiennent actuellement près de 34 000 tonnes d’or comme avoirs de réserve (17 % du total des stocks hors sol).
Bien que la sécurité et la liquidité des actifs soient primordiales pour les gestionnaires de banques centrales, les rendements jouent également un rôle non négligeable : l’or a généré une plus-value annuelle moyenne de près de 10 % en dollars américains depuis 1971.
Les banques centrales peuvent fonder leur stratégie d’investissement sur de nombreux facteurs, mais les principales raisons des récents achats d’or restent les risques économiques et politiques accrus, ainsi que les taux d’intérêt bas et négatifs.
La demande d’or des banques centrales s’est établie à 650,3 tonnes en 2019. Il s’agit du deuxième niveau le plus élevé d’achats annuels depuis 50 ans, soit un peu moins que les 656,2 tonnes de 2018. En effet, selon le groupe industriel World Gold Council (WGC), l’année 2018 avait déjà marqué le plus haut niveau d’achats annuels nets d’or par les banques centrales depuis la suspension de la convertibilité du dollar en or en 1971 et même depuis toujours. Le WGC s’appuie notamment sur les informations soumises au FMI.
Alors qu’un ralentissement des achats d’or par les banquiers centraux devait intervenir cette année, ces derniers devraient se lancer dans une frénésie d’achat d’or suite à la pandémie de Covid-19, selon un récent rapport du WGC. La peur d’une nouvelle crise financière et l’accroissement grandissant de l’endettement public et privé sont dans toutes les têtes.
Les banques centrales ont tendance également à acheter de l’or lorsqu’elles voient l’opportunité d’obtenir le métal à un bon prix. En pratique, cela signifie qu’elles choisiront probablement d’acheter des lingots sur les baisses de prix, alors que le marché ne verra pas d’énormes chutes ou plongements à long terme. Évidemment, des corrections interviennent régulièrement lors des évènements importants, mais ne remettent pas en question cette tendance de fond du marché haussier de l’or.
L’or à la place des Bons du Trésor américains : l’exemple turc
Les banques centrales ont ajouté 21,5 tonnes d’or à leurs réserves en janvier 2020, 36 autres tonnes d’or le mois suivant, avec comme acheteur notable :
- La Turquie = 24,8 tonnes
- La Russie = 10,9 tonnes
- Le Kazakhstan = 1,8 tonnes
- Le Qatar = 1,6 tonnes
Nous étions donc encore officiellement en période pré-Covid. Les données du WGC montrent que les achats d’or totaux des banques centrales ont totalisé 139 tonnes au cours des quatre premiers mois de cette année, dont 111 imputables à la Turquie. Ce pays à la confluence de l’Asie et de l’Europe est « le pivot stratégique de l’Eurasie » selon le célèbre géopolitologue Zbigniew Brezinski. Entre terre et mer, entre Russie et OTAN, Ankara a donc un poids majeur dans les relations internationales.
Ses positions économiques de ces dernières années critiques envers le dollar américain et favorable à l’or ont notamment été décryptées dans le livre Géopolitique de l’Or. Aujourd’hui, la banque centrale de Turquie est devenue le plus grand acheteur d’or au monde, selon la Commerzbank. Selon les données du FMI, la Banque centrale turque a augmenté ses réserves d’or de 890 000 onces (27 tonnes) pour atteindre un record de 21,28 Moz d’or (667 tonnes) en mai dernier. Et depuis le début de l’année 2020, la Banque centrale de Turquie s’est procurée un total de 139 tonnes d’or.
Ankara a donc dépassé Moscou en tant que premier acheteur d’or au monde, craignant qu’elle ne soit exclue des règlements internationaux (en dollars), notamment en raison du refroidissement de ses relations avec les États-Unis ces dernières années. Comme la Russie, la Turquie a récemment vu ses revenus en devises diminuer : les dépenses touristiques, un moteur clé de son économie, ont chuté avec l’épidémie de coronavirus et la lire turque s’est échangée aux niveaux les plus faibles jamais enregistrés ces derniers mois. Au troisième trimestre 2020, le pays a ainsi revendu 22,3 tonnes d’or pour renflouer ses finances.
Si la demande d’or continue d’être forte pour les banques centrales du monde entier début 2020, on ne peut pas en dire autant des bons du Trésor américain. Le mois de mars dernier a été significatif, car les gouvernements étrangers et les banques centrales ont procédé à une vente massive de bons du Trésor. Les détenteurs étrangers de bons du Trésor se sont effectivement défaussés de plus de 100 Md $ en trois semaines jusqu’au 25 mars, ce qui représente la plus forte baisse mensuelle jamais enregistrée.
Remplacer les bons du Trésor américain par de l’or est une tendance profonde et significative pour les banques centrales du monde entier.
Cette dédollarisation relative mais réelle relève est également une bonne raison pour la Réserve fédérale américaine de soutenir massivement son marché obligataire, autrement dit le financement indirect de l’économie, avec la planche à billets (quantitative easing).
La Russie exporte plus d’or que de gaz
La Banque centrale russe qui a massivement acquis du métal jaune en 2019 ne voit aucun besoin de redémarrer les achats d’or pour ses réserves pour 2020. En avril dernier, les banques privées russes avaient demandé à la banque centrale russe de reprendre ses achats officiels d’or, invoquant des inquiétudes concernant les exportations d’or.
La Russie a effectivement obtenu plus de devises de ses exportations d’or que de ses exportations de gaz pour la première fois dans l’histoire moderne du pays. La Russie a vendu un total de 65,4 tonnes d’or à l’étranger pour une valeur de 3,55 Md $ en avril et mai. En comparaison, les exportations de gaz ont chuté à seulement 2,4 Md $ au cours de la même période, soit le niveau le plus bas depuis 2002.
Le ministère russe des Finances a néanmoins récemment proposé, via un projet de loi, d’autoriser une partie de son Fonds souverain, le Russian National Wealth Fund (NWF), à investir dans les métaux précieux. Le ministre des Finances Anton Siluanov en personne avait déjà déclaré l’année dernière qu’il considérait l’or comme plus durable à long terme que les actifs des marchés financiers.
La Russie est actuellement le troisième producteur d’or au monde avec une exploitation qui a augmenté de 9,26 % en 2019 pour un total de 343,54 tonnes, contre 314,42 tonnes en 2018. La production d’argent métal a quant à elle diminué de 11,1 % sur une base annuelle en 2019, pour atteindre 996,17 tonnes.
Que nous réserve la Chine ?
De 2009 à 2015, le gouvernement chinois n’a fourni aucune mise à jour sur ses avoirs en or. Puis, il a soudainement annoncé un bond massif de 57 % de ses réserves. La Chine a acheté près de 3,2 Moz d’or (100 tonnes) en 2016 et n’a rien accumulé officiellement depuis 2019. Compte tenu de la dynamique géopolitique de ces dernières années et des guerres commerciales, il semble néanmoins peu probable que les Chinois aient soudainement cessé d’augmenter leurs réserves d’or en 2016.
De nos jours, les réserves officielles d’or de la Chine sont établies à 1 948 tonnes. Zhang Bingnan, vice-président de la China Gold Association, a prévu la capacité optimale de réserve d’or pour la Chine pour 2020 entre 185,6 Moz et 217,6 Moz (soit 5 800 et 6 800 tonnes) d’or.
Cela signifie qu’il faudrait que l’empire du Milieu acquière au moins 124 Moz (3 850 tonnes) cette année pour atteindre le taux optimal de Zhang Bingnan. Les Chinois atteindraient ainsi un ratio de réserves très proche de celui des États-Unis. Selon une analyse de la Standard Chartered Bank, la Chine devrait donc acheter l’équivalent de deux ans de production mondiale d’or pour atteindre la diversification qu’elle recherche. Nous sommes donc officiellement plutôt éloignés de cette perspective, mais si l’ambition se concrétise, cette ruée vers l’or et ces achats massifs ne pourront être dissimulés.
En août 2020, la Banque populaire de Chine n’a pas déclaré d’achats d’or depuis quasiment un an. Comme nous l’avons vu, il n’est pas inhabituel que la Chine reste silencieuse sur le sujet, puis annonce soudainement une forte augmentation de ses réserves. Cela fait plusieurs années que de nombreux analystes suggèrent que le Parti Communiste Chinois cache en réalité beaucoup plus d’or que ce que veulent bien nous montrer les statistiques officielles. Comme l’a souligné le célèbre analyste Jim Rickards en 2015, beaucoup de gens spéculent sur le fait que la Chine conserve plusieurs milliers de tonnes d’or « officieusement » dans une entité séparée appelée l’Administration Générale du Contrôle des Changes (State Administration for Foreign Exchange – SAFE)
Le problème avec la Chine est donc à la fois qu’elle ne met pas à jour ses chiffres de réserves d’or très souvent et que lorsqu’elle le fait, leur précision est impossible à vérifier.
Le géant indien
La Reserve Bank of India (RBI) a acheté 40,45 tonnes d’or au cours de l’exercice 2019-2020, portant ses avoirs totaux en métal jaune à 653,01 tonnes. Pas moins de 360,71 tonnes d’or sont détenues à l’étranger par la Banque d’Angleterre et la Banque des règlements internationaux (BRI), tandis que le reste de l’or est détenu au niveau national. L’Inde a augmenté ses réserves lentement, mais sûrement ces dernières années. Mais c’est vers la quantité détenue par les ménages indiens que l’on s’attarde le plus souvent.
Effectivement, 24 000 à 25 000 tonnes de métal jaune seraient aux mains des particuliers indiens selon les estimations du World Gold Council. Pour vous donner une idée de la quantité d’or détenue par le peuple indien, la quantité totale d’or détenue par les gouvernements et les banques centrales dans le monde est de 33 976 tonnes.
Indéniablement, le tournant de l’or se fait actuellement en Eurasie, tandis que la demande d’or des banques centrales du monde, a chuté de 50% au deuxième trimestre à 114,7 tonnes selon le WGC.
Franck Pengam
Article paru initialement dans la revue Or & Argent d’Août 2020 et sur Or.fr