Le 13 novembre à 12h30, Aram Mardirossian est l’invité de Nicolas Stoquer sur Géopolitique Profonde.
Aram Mardirossian, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est un historien et juriste franco-arménien. Il est reconnu pour ses travaux sur le génocide arménien et la protection des chrétiens d’Orient. En tant que défenseur des droits de l’homme, il critique la négligence de l’État laïque français envers la christianophobie croissante. Son engagement s’étend à la défense du patrimoine religieux et des croyances chrétiennes, notamment face aux crimes haineux et aux profanations.
La véritable histoire de l’Inquisition : contexte historique et évolution
L’Inquisition évoque souvent des images de torture, de bûchers et de persécutions religieuses, cristallisant l’idée d’un Moyen Âge obscurantiste. Cependant, la réalité historique est bien plus complexe.
L’Inquisition, initialement conçue comme un ensemble de tribunaux ecclésiastiques, visait à lutter contre les hérésies perçues comme des menaces à l’unité de l’Église catholique. Ancrée dans le droit romain, cette institution a connu plusieurs phases d’évolution, reflétant les enjeux sociaux, politiques et religieux de chaque époque.
Les origines de l’Inquisition : un Moyen Âge en quête d’unité
L’Inquisition médiévale, officiellement instaurée au XIIIe siècle, est née en réponse aux hérésies dualistes, telles que le catharisme en Occitanie, ainsi qu’aux doctrines gnostiques et arianistes qui remettaient en question la doctrine officielle de l’Église. C’est dans ce contexte que le pape Grégoire IX créa en 1231 une structure inquisitoriale centralisée, confiée principalement aux ordres dominicains, réputés pour leur érudition.
Le soutien des autorités civiles, comme l’empereur germanique Frédéric II, fut déterminant pour intensifier la répression contre ces mouvements jugés subversifs. En collaboration avec l’Église, Frédéric II promulgua des lois sévères contre l’hérésie, afin de préserver l’ordre social et religieux, déjà fragilisé par les croisades albigeoises.
L’expansion de l’Inquisition : de la répression des Cathares aux sorcières de la Renaissance
Contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’Inquisition se limitait au Moyen Âge, son influence s’étendit bien au-delà, atteignant son apogée entre le XVe et le XVIIe siècle. Cette période fut marquée par la réaction aux mouvements protestants qui menaçaient l’hégémonie catholique, notamment en Espagne et en Italie. L’Inquisition espagnole, fondée en 1478 sous le règne des Rois Catholiques, se distingua par sa sévérité envers les conversos (juifs convertis) et les morisques (musulmans convertis), accusés de crypto-judaïsme ou d’islam clandestin.
En dépit des clichés tenaces, la chasse aux sorcières fut plus fréquente durant la Renaissance que durant le Moyen Âge. Des figures contemporaines comme Sandrine Rousseau évoquent souvent la violence patriarcale de ces périodes, soulignant la répression des femmes accusées de sorcellerie. Toutefois, les recherches historiques montrent que l’ampleur de ces persécutions par l’Inquisition est souvent exagérée par rapport aux tribunaux civils, qui furent beaucoup plus sévères.
Une justice ambivalente : modération inquisitoriale et procédures révolutionnaires
Contrairement aux tribunaux civils, les tribunaux inquisitoriaux faisaient preuve d’une relative modération. Si l’Inquisition est souvent perçue comme un outil de répression brutale, elle introduisit pourtant des éléments novateurs dans le droit pénal. La procédure inquisitoire reposait sur des enquêtes rigoureuses, des témoignages sous serment et une recherche systématique des preuves. Cette approche, bien que controversée, a paradoxalement influencé certains aspects de la justice moderne, notamment la centralité de la preuve écrite et la procédure contradictoire.
Les historiens s’accordent à dire que, comparée à d’autres institutions, l’Inquisition condamnait rarement à mort. Par exemple, durant la Terreur révolutionnaire en France (1793-1794), environ 17 000 personnes furent exécutées en deux ans, un bilan bien plus élevé que celui de l’Inquisition espagnole sur toute sa durée. Des juristes comme Jean-Louis Arouel ont même plaidé pour la modération judiciaire, notant que la peine capitale était appliquée de manière exceptionnelle dans les tribunaux ecclésiastiques.
Héritage et réévaluations modernes
Le legs de l’Inquisition reste controversé, oscillant entre la dénonciation d’une répression fanatique et la reconnaissance d’une institution qui, dans son contexte, chercha aussi à encadrer l’usage de la violence.
Aujourd’hui, les débats autour de cette période sont souvent teintés de lectures anachroniques, projetant les valeurs modernes sur une époque aux normes juridiques et sociales très différentes. Une réévaluation plus nuancée permet de comprendre l’Inquisition non pas comme un simple outil de terreur, mais comme un reflet des tensions politiques et religieuses de son temps.