Mise en contexte
L’événement tragique du 4 août 2020 a marqué la capitale libanaise, Beyrouth, lorsqu’une grande quantité de nitrate d’ammonium stockée dans le port de la ville a explosé, causant des dégâts dévastateurs.
Cette explosion a entraîné la mort d’au moins 218 personnes, en a blessé 7 000 autres, et a causé des dommages matériels estimés à 15 milliards de dollars US. De plus, l’explosion a laissé environ 300 000 personnes sans abri en détruisant 77 000 appartements.
L’explosion, qualifiée comme l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’Histoire, a mis en lumière des décennies de mauvaise gestion gouvernementale et de corruption au port de Beyrouth, pulvérisant le port et causant des dégâts considérables aux infrastructures environnantes.
La nécessité d’enquêter afin d’éclaircir les circonstances entourant cet événement tragique et d’identifier les responsabilités est alors apparue comme essentielle pour la communauté libanaise et la communauté internationale. Les investigations menées ont cherché à établir un tableau précis des événements qui ont conduit à cette catastrophe, dans l’espoir de rendre justice aux victimes et d’engager la responsabilité des parties impliquées.
Investigations multiples
Dans le sillage de l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth le 4 août 2020, de nombreuses investigations ont été menées pour démêler les circonstances et identifier les responsabilités. Voici une esquisse des investigations notables, soulignant la diversité des approches et des découvertes :
Plusieurs médias et organisations de défense des droits de l’homme ont mené des enquêtes pour éclairer les faits entourant l’explosion du port de Beyrouth. Les médias comme Al Jazeera et BBC ont publié des reportages détaillés sur l’incident, et des organisations comme Human Rights Watch ont activement enquêté sur l’explosion, mettant en lumière des failles dans la gestion du nitrate d’ammonium et appelant à une enquête indépendante.
Enquête de Forensic Architecture :
- Forensic Architecture (FA), basé à Londres, a conduit une enquête open-source en novembre 2020, utilisant l’analyse géolocalisée et la modélisation 3D pour reconstituer les événements séquentiels de l’explosion,
- L’enquête a aidé à analyser l’origine de l’incendie dans l’entrepôt et a identifié quatre types de fumées provenant de différentes parties de l’entrepôt dans les 14 minutes précédant l’explosion.
Rapport de Legal Action Worldwide (LAW) :
- Legal Action Worldwide a soumis un rapport aux Nations Unies et aux États membres en novembre 2020, appelant à la création d’une mission indépendante et impartiale pour enquêter sur l’explosion,
- Il a aussi mis en lumière des lacunes dans le système judiciaire libanais et a souligné l’impact dévastateur de l’explosion sur l’économie, la société et les communautés, suggérant que l’explosion aurait pu être évitée si des individus et des institutions clés avaient agi,
- Le rapport de LAW s’appuie sur les témoignages de victimes/témoins, ainsi que sur les rapports des Nations Unies, des ONG et des médias, et était à l’époque le rapport le plus complet sur l’explosion.
Étude de cas : investigations de OCCRP et Al Jadeed
- L’Organized Crime and Corruption Report Project (OCCRP) a mené une enquête approfondie un an après l’explosion, résolvant l’une des plus grandes questions persistantes : qui était le propriétaire réel de la cargaison. L’enquête a révélé un réseau de commerce chimique vieux de plusieurs décennies contrôlé par des Ukrainiens, caché derrière un voile de sociétés écrans et de prête-noms,
- Les citoyens libanais, choqués et endeuillés, ont exigé des réponses sur l’origine des près de 3 000 tonnes de produits chimiques explosifs, et qui en étaient les propriétaires,
- OCCRP a activé son réseau mondial pour démêler le sac opaque de secret derrière la cause de l’explosion, en collaboration avec d’autres organisations médiatiques et de défense des droits humains,
- Le média basé à Sarajevo, OCCRP, a d’abord enquêté sur le navire qui a transporté la cargaison de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth, révélant des détails sur la propriété et des connexions avec des individus controversés,
- Al Jadeed, en collaboration avec OCCRP et d’autres organisations, a également mené des investigations initiales mais convaincantes sur les événements qui ont conduit à l’explosion du 4 août, en s’appuyant principalement sur l’examen des documents,
- Les conclusions initiales de l’enquête de l’OCCRP ont été citées dans plusieurs rapports et plaintes concernant l’explosion du port de Beyrouth. L’enquête de l’OCCRP, principalement à travers l’analyse d’une combinaison complexe et opaque de documents offshore, a identifié des informations substantielles sur la propriété de la cargaison explosive.
L’enquête de Human Rights Watch
L’enquête de Human Rights Watch (HRW) sur l’explosion du port de Beyrouth a été publiée le 3 août 2021, marquant le premier anniversaire de cette tragédie. Le rapport, qui s’étend sur plus de 700 pages, est jusqu’à présent l’enquête la plus complète sur cet incident dévastateur. HRW a mis en lumière des preuves impliquant des hauts fonctionnaires libanais dans l’explosion du 4 août 2020.
L’un des éléments clés révélés par HRW est que certains officiels libanais étaient au courant et ont tacitement accepté le danger posé par l’ammoniac nitrate mal stocké dans le port de Beyrouth. Cette négligence criminelle des autorités a été soulignée comme un facteur majeur ayant contribué à l’ampleur de l’explosion et de ses conséquences dévastatrices.
L’accent a été mis sur l’importance de la responsabilisation et la nécessité d’une enquête indépendante et impartiale pour établir la vérité et rendre justice aux victimes. Les conclusions de HRW ont contribué à mettre en lumière les défaillances systémiques dans le système juridique libanais qui ont entravé une enquête nationale approfondie sur l’incident.
Action en justice du barreau de Beyrouth
L’Association des Barreaux de Beyrouth (BBA), avec le soutien de quatre familles de victimes, a engagé une action en justice contre Savaro Ltd au Royaume-Uni en août 2021. Cette entreprise basée à Londres a été accusée d’avoir affrété l’envoi du nitrate d’ammonium en 2013 qui a fini par exploser dans le port de Beyrouth en 2020.
La société a été contrainte de verser une indemnisation aux victimes et aux familles des personnes affectées par l’explosion. Dans un développement notable, la Haute Cour de justice de Londres a également émis une ordonnance judiciaire exigeant de Savaro Ltd de révéler l’identité de ses propriétaires, ce qui a été rapporté par l’Agence Nationale d’Information du Liban.
Plus tard, en juin 2023, la cour a ordonné à Savaro Ltd de verser plus de 800 000 livres sterling (environ 1 million de dollars) en dommages-intérêts aux victimes, marquant une étape importante dans la quête de justice et d’indemnisation pour les victimes de la tragédie.
Action en justice des victimes
Après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth, un groupe de victimes a engagé une action en justice aux États-Unis, visant les entreprises TGS ASA et TGS-NOPEC Geophysical (collectivement désignées sous le nom de TGS).
Les plaignants, aidés par la fondation suisse Accountability Now et représentés par le cabinet d’avocats Ford O’Brien Landy LLP, ont cherché à obtenir justice en explorant les connexions possibles entre ces entreprises et l’explosion tragique.
La plainte, déposée au District Court of Harris County au Texas, a réclamé un total de 250 millions de dollars en dommages et intérêts pour la perte de vies humaines et les dommages matériels causés par l’explosion.
Les plaignants ont allégué que TGS, propriétaire de la société britannique Spectrum Geo, avait des liens suspects avec le navire Rhosus, qui avait transporté le nitrate d’ammonium à Beyrouth. Ils ont également soulevé que la sélection de ce navire pour transporter du matériel d’enquête sismique lourd « n’avait pas de sens », étant donné la réputation d’insécurité du Rhosus et sa surcapacité déjà notable avec le nitrate d’ammonium à bord.
Les plaignants ont également mis en avant l’insuffisance de l’expertise locale du sous-traitant jordanien Geophysical Services Center (GSC), engagé pour transporter l’équipement sismique, et ont souligné un environnement politique corrompu au Liban, en particulier en relation avec les contrats entre Spectrum et le ministère libanais de l’Énergie et des Eaux.
Au cœur des allégations, les plaignants ont accusé Spectrum de ne pas avoir exercé une diligence raisonnable suffisante en choisissant GSC comme sous-traitant, ce qui a conduit à la sélection du Rhosus. Ils ont également affirmé que TGS, en tant que propriétaire de Spectrum, avait assumé ses responsabilités dans cette affaire.
Un point notable du procès est que, le 31 août, une cour américaine a rejeté la motion de TGS visant à rejeter la plainte, permettant ainsi aux victimes de poursuivre leur action en justice.
Les victimes du drame continuent de chercher justice à l’échelle internationale, explorant toutes les voies possibles pour obtenir réparation et rendre compte des responsabilités dans la tragédie qui a secoué Beyrouth en 2020.
Conclusion
L’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth a laissé une trace indélébile, soulignant la nécessité d’enquêtes approfondies et de poursuites judiciaires pour démêler les circonstances et responsabilités liées à cette tragédie.
Les investigations menées par divers organismes et les actions en justice entreprises à l’échelle internationale, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, témoignent de la détermination des victimes et des défenseurs des droits de l’homme à chercher justice et responsabilité.
La quête continue de justice est cruciale pour offrir une certaine réparation aux victimes et pour travailler à la prévention de futurs drames. La lutte pour la vérité et la justice est loin d’être terminée, mais chaque effort compte dans l’espoir d’honorer la mémoire des victimes et d’œuvrer pour un futur plus sûr.
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